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Un Finlandais chez Vivaldi - Une interview de Topi Lehtipuu



Pour notre plus grand bonheur la vie musicale parisienne a adopté Topi Lehtipuu. Après avoir magnifiquement illustré les rôles mozartiens et ramistes, le jeune ténor finlandais s’octroie une parenthèse chez Vivaldi. Un concert à Gaveau (le 29 novembre) et trois parutions discographiques, cela donnait envie d’en savoir plus…


Vos premières armes musicales n’ont pas été seulement classiques…

Topi LEHTIPUU : Je suis le résultat d’une éducation musicale finlandaise typique. J’ai commencé à étudier le violon à huit ans, alors que je jouais déjà du piano. J’ai eu une formation très complète à l’Académie Sibelius et comme la plupart des jeunes gens de ma génération, j’ai goûté à tous les plats : jazz, jazz-rock, rock alternatif, heavy metal. Une de mes premières entreprises musicales fut un groupe de rock progressiste que j’avais formé avec des amis rencontrés à l’armée, car dans le petit pays qu’est la Finlande la conscription est toujours de mise. Nous avons fait des tournées en Europe, et des disques (1) et j’étais le soliste vocal et le violoniste du groupe. Notre style s’inspirait de celui de Genesis, on pratiquait un « art-rock » très ouvert, se nourrissant de toutes sortes d’influences, nos musiques étaient souvent plus complexes, harmoniquement comme rythmiquement, que celles pratiquées alors dans ce milieu. C’était formidable parce que cela nous a sorti du pré carré de la musique classique, nous a fait partager des émotions avec des personnes appartenant à d’autres parties de la société.

Et comment êtes vous venu du nouveau rock finlandais à la musique baroque ? Car à Paris on vous a d’abord découvert dans Mozart puis très vite dans la musique baroque et particulièrement le répertoire français.

T.L. : A l’Académie Sibelius j’étudiais la direction chorale mais j’avais aussi une activité un peu débordante en dehors de mon cursus. Par exemple j’ai fait les voix pour les versions finlandaises des films Disney. Mais à un moment j’ai ressenti le besoin de me concentrer sur une activité précise. Comme je devais chanter une fois encore l’Evangéliste de la Passion selon Saint Matthieu, je me suis inscrit à une masterclass que donnait Howard Crook, un ténor que le public français connaît bien, d’abord pour ses nombreuses participations aux concerts et aux productions des Arts Florissants. Il m’a écouté et m’a dit « Savez-vous que vous pourriez être chanteur professionnel ? ». Je lui ai répondu « Non, certainement pas. ». Il m’a organisé une audition auprès de Jean-Claude Malgoire pour chanter Tamino, rien que cela. Et ça a marché. Là je me suis dit qu’il fallait prendre maintenant tout cela très au sérieux et me consacrer au chant. J’ai donc laissé de côté toutes mes autres activités musicales. Tout cela s’est passé tellement rapidement. Cette production de  la Flûte enchantée a duré huit mois ; je me suis donc installé à Paris.

Que vous n’avez plus quitté. Alors que tant d’artistes français choisissent Berlin ou Londres pour s’établir, le Finlandais que vous êtes à choisi Paris. Pourquoi ?

T.L. : D’abord parce que j’ai épousé une Française. A un moment nous avons sérieusement envisagé de nous installer à Berlin. Mais mon activité s’est rapidement développée en France, et je ne peux pas résister au charme de cette ville ; enfin à Paris, on est au centre de la vie musicale européenne, toutes les grandes capitales sont accessibles en très peu de temps.

Lorsque l’on vous voit en scène, on est surpris par votre jeu d’acteur ; vous vous engagez physiquement dans vos rôles…

T.L. : Pour moi la danse est très importante, elle était centrale lorsque je me produisais avec mes amis. Et à l’opéra je me suis rapidement senti investi d’une petite mission : marier les expressions corporelles et vocales. Et j’ai aussi pratiqué longtemps le théâtre, où le corps à encore plus d’importance qu’à l’Opéra. Mais si je tiens tant à l’aspect physique du jeu de scène c’est d’abord parce qu’il m’est un moyen de communication immédiat. Je parle quatre langues, le finnois, l’anglais, le suédois et le français, mais c’est par mon corps que je trouve le plus facilement mon vocabulaire et ma grammaire. Et c’est d’ailleurs par le corps que j’aborde le rendu des rôles que je chante. Je me dis toujours : « comment ce personnage bouge-t-il, quelles seraient ses attitudes ? ». Je travaille comme un comédien qui construit son rôle à travers une incarnation physique.

Vous avez une foisonnante actualité Vivaldi en cet automne : deux intégrales d’opéras, un récital d’airs pour ténor, et un concert à Gaveau reprenant le programme de ce disque.

T.L. : C’est un peu un hasard. Ercole sul Termodonte a été enregistré voici deux ans mais paraît seulement ces jours ci, en même temps que Ottone in villa gravé bien plus récemment. Quant à mon récital Vivaldi chez Naïve c’est ma pierre apporté à l’édifice musicologique constitué par cette édition. J’ai pris beaucoup de plaisir à chanter ces airs pour « baryténor ». Chez Vivaldi il y a un rapport expressif immédiat que j’aime particulièrement, et cette vocalité très instrumentale me renvoyait à mes années de violoniste. En même temps que j’enregistrais ces disques Vivaldi, je chantais beaucoup de Haendel, on peut difficilement imaginer deux univers plus différents.

Vers quels répertoires allez-vous tendre dans les années qui viennent ?

T.L. : Je reste essentiellement un ténor mozartien, je ne pense pas que ma voix gagne en volume ou en tessiture. Et cela me va très bien. Je vais donc chanter beaucoup Mozart, nous avons prévu avec Naïve un récital d’airs dont je suis en train de composer le programme. S’il y a bien un chanteur qui m’est une inspiration, c’est Peter Pears. J’ai à mon répertoire tous les cycles de Britten, j’aimerais les enregistrer, à commencer par la Sérénade.

Propos recueillis par Jean-Charles Hoffelé, le 19 novembre 2010.

(1) de 1993 à 1998 le groupe de rock alternatif Höyry-Kone connut un certain succès au-delà même des frontières finlandaises.

Concert « Vivaldi virtuoso »

Topi Lehtipuu, ténor

I Barocchisti, dir. Diego Fasolis

29 novembre 2010 – 20h30

Paris - Salle Gaveau

Actualité discographique :

Vivaldi : Arie per tenore, Topi Lehtipuu, I Barocchisti, dir. Diego Fasolis (1 CD Naïve OP 30504)

Vivaldi : Ottone in villa (2 CD Naïve OP 30493)

Vivaldi : Ercole sul Termodonte (2CD Virgin 5099969454509)

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