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On the Town au Châtelet - Marins en goguette


Paris n’avait jamais vu On the Town, grande comédie musicale où la guerre, dont elle est selon Bernstein l’enfant légitime, transparaît à peine sinon dans cette fièvre, cette volonté de s’étourdir et de jouir du présent que les trois marins en bordée pour vingt quatre heures dans la Grosse Pomme affichent jusque dans une certaine naïveté toute américaine.

Une des clefs de ce musical si différent est la danse. L’œuvre fut conçue avec l’intime concours du chorégraphe Jerome Robins, et d’ailleurs déduite de Fancy Free, un ballet à part entière, composé par Bernstein et dansé par Robins, créé quelques mois auparavant. Robins maria dans On the Town le ballet classique à une gestuelle inspirée du quotidien, pimentant le tout de danses jazzy et afro-cubaine. On voit ici un pas de deux mais aussi une conga. Le tout traité sur un rythme trépidant, avec un sens de la surprise désopilant qui exige des changements à vue de décors particulièrement virtuoses.

C’est bien ce que nous donnent à voir Jude Kelly et Stephen Mear, dans un savant et pourtant très simple mariage de théâtre et de danse où les décors pèsent le poids d’une plume même lorsque ce sont des traverses d’acier qui les composent. Le spectacle gagne encore en fluidité par l’élégance des éclairages, qui tuilent les scènes les unes aux autres, abolissant la sensation de durée. On est pris par la déambulation des marins, leurs aventures amoureuses très symétriques, on passe sur les conventions du livret, gommées par la qualité du spectacle et la fraîcheur du jeu de toute la troupe, dominée d’une bonne coudée par le Gabey de Joshua Dallas qui dame le pion vocalement à ses deux comparses (sans démériter pourtant, le Chips si craquant d’Adam Garcia comme l’Ozzie de Tim Hovar ne peuvent lui rendre la pareille en terme de swing et de pur élan vocal).

La distribution est soignée dans ses moindres détails : on a été jusqu’à confier les petits rôles récurrents (maître de cérémonie, annonceur, ouvrier, Rajah Bimmy) à Rodney Clarke, pour mémoire le Jake inoubliable de la récente production lyonnaise de Porgy and Bess. Les emplois féminins, incarnés par des chanteuses aguerries à la comédie musicale – au sommet la Claire de Loone jamais surchargée de Lucy Schaufer, et l’irrésistible composition de Caroline O’Connor qui campe une désopilante Hildy Estherazy – donnent à l’ensemble une touche d’élégance quasi londonienne, assez West-End en fait, que Bernstein n’aurait certainement pas désavouée.

Trois compositions de genre viennent relever le tout : la Madame P. Dilly de Sheila Reid, impayable en prof de chant alcoolique qui montre de très enviables restes vocaux, Alison Jear désopilante aussi bien en Diana Dream qu’en Dolores Dolores dans son double numéro qui ouvre l’acte II, et Jonathan Best, en Juge Bridgework, who understands perfectly.

La sonorisation est un modèle tout comme la direction de David Charles Abell, un intime de Bernstein au long de ses dernières année, qui fait sonner Pasdeloup et le Chœurs du Châtelet plus Broadway que nature. Et détail qui a son importance, la partition est donnée dans son intégralité, révélant une œuvre avec laquelle la célèbre mouture cinématographique (Gene Kelly, Frank Sinatra,Vera Allen, Ann Miller à l’affiche) n’a en fait que peu à voir.

Jean-Charles Hoffelé

Leonard Bernstein, On the Town, Théâtre du Châtelet le 14 décembre 2008, représentations jusqu’au 4 janvier 2009

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Photo : DR

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