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Spectacle de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris - Réjouissantes perspectives – Compte-rendu

 

Une soirée qui fait penser au futur, et plonge dans un délicieux présent ! Certes la salle dont une partie vient se pâmer devant sa progéniture n’est pas ce que l’on peut qualifier d’objective, mais le reste des spectateurs juste désireux de rêver un peu a manifesté un enthousiasme particulièrement vigoureux devant ce spectacle où l’Ecole dirigée par Elisabeth Platel donnait le meilleur d’elle-même. Et en l’occurrence beaucoup ! Programme très bien composé, et qui culminait sur une réussite totale avec le dernier acte de Raymonda, lourd et  emblématique ballet du grand répertoire revu par Noureev, et qui n’a rien d’un divertissement, mais que la directrice a tenu à inscrire au répertoire de l’Ecole en 2017.
 

Concerto en ré  (chor. Claude Bessy) © Svetlana Loboff - OnP
 
L'essence de la technique classique
 
Spectacle devenu un rite, depuis que Claude Bessy, directrice avant Platel, en imposa l’idée, et qui se déroulait alors Salle Favart. Une façon très astucieuse de faire prendre conscience aux jeunes gens de la difficulté du plateau, du regard du public, et du sens de leurs efforts. C’était en 1977, et Bessy ouvrit les festivités en chorégraphiant elle-même ce Concerto en ré (photo),  parfaite présentation des différents mouvements qui composent l’essence de la technique classique, sur la très ordonnée partition de Bach, solidement jouée par Elina Akimova. La pièce que Platel a réinscrite pour cette soirée rend ainsi hommage à sa devancière, laquelle sera honorée incessamment pour ses 90 ans.
 
Le grand intérêt de ce Concerto en ré étant de rassembler la totalité des effectifs de l’Ecole, et de faire ainsi le grand tour, en finissant sur une image de groupe où les élèves enroulés en spirale offrent une vision collective de ce merveilleux laboratoire, dont sortiront la nef et le chœur du ballet futur mais aussi sa flèche, avec des personnalités que la technique ne peut suffire à faire émerger. Affaire de chance, d’heureux hasard, et cette année il y eut de formidables surprises. On y reviendra plus tard ! Ensembles impeccables, rigueur et charme, la pièce fut une emblématique carte de visite de l’école, où les mouvements s’enchaînent dans un souci d’harmonie révélatrice de leur acceptation d’une discipline de fer, qui aboutit à leur future expressivité. 
 
Ma Mère l'Oye (chor. Martin Chaix) © Svetlana Loboff - OnP

Douce parenthèse
 
Le deuxième ballet, sur Ma Mère l’Oye, fut une douce parenthèse, après ce solide lever de rideau, en guise d’hommage à la riche et pas toujours heureuse imagination de l’enfance ; car La Belle et la Bête, le Petit Chaperon rouge ou le malheureux Petit Poucet abandonné par ses parents, ne relèvent pas de la plus franche gaieté. Mais Perrault notamment, sut en tirer le meilleur. En l’occurrence, ce fut une création signée Martin Chaix, ancien de l’Ecole et de la Troupe de l’Opéra, qui se déroule dans la blancheur d’un univers fantomatique. Costumes allurés d’Aleksandar Noshpal, malgré leur monochromie, chorégraphie fluide, tout s’y ressemble un peu mais les jeunes gens donnent un peu de piquant à cette rêverie, dont ils ont joué le jeu avec fraîcheur, et particulièrement pour l’épisode des Pagodes, où la partition ravélienne déploie ses plus vives inventions rythmiques et sonores.
 
Puis vint le grand style, avec Raymonda et le mariage du 3e acte, fastueusement célébré comme dans l’acte noir du Lac des Cygnes, avec force divertissements en bottes rouges, toques et mains sur les hanches, à la hongroise. Un ballet auquel Noureev, qui le remonta à l’Opéra en 1983 dans les opulents décors de Nicholas Georgiadis, était fortement attaché et qui opposait la noirceur du conquérant et la pureté du preux chevalier, d’autant que l’héroïne était tentée par les deux aspects de l’amour, érotique ou courtois, tout cela conté avec la distance qui s’impose dans un ballet classique. Elisabeth Platel, qui fut la plus belle interprète du rôle, en est évidemment la plus riche dépositaire et on perçoit bien, dans ce qu’elle a su communiquer à ses jeunes interprètes, l’émotion puissante qu’elle imprima à ce rôle, d’autant qu’elle a été aidée dans ses masterclasses par Jean Guizerix et Charles Jude, qui marquèrent aussi les rôles masculins du ballet, du temps de Noureev.
 

Raymonda (chor. Rudolf Noureev) - Edouard Wormser (Jean de Brienne) & Lisa Petit (Raymonda) © Svetlana Loboff - OnP

Trois personnalités à suivre

Et ce troisième acte, point culminant d’un ballet qui comporte des lourdeurs, mais en est ainsi débarrassé, fut un éblouissement d’autant que la direction de Christian Vásquez, avec l’Orchestre de l’Opéra, fit paraître rutilante la musique de Glazounov, qui n’est pas Tchaïkovski. Aucune déception puisqu’on ne connaît pas les jeunes artistes incarnant les personnages principaux, et découverte enchantée de trois personnalités dont on espère qu’elles vont rayonner sur la troupe de l’Opéra dès qu’elles y seront incorporées. On souhaite vivement que Lisa Petit, féerique dans le tutu diapré conçu pour Raymonda par Xavier Ronze, amplifie l’aisance, la classe et le rayonnement de ses beaux développés  et de ses bras fluides et langoureux. On espère que Edouard Wormser, applaudi en Jean de Brienne pour son élégance, multipliera à l’infini ses brillantes pirouettes et en stabilisera l’arrêt, ce qui ne saurait manquer lorsqu’il aura acquis la pratique du plateau.
 

Raymonda (chor. Rudolf Noureev) - Benjamin Adnet (Abderam) © Svetlana Loboff - OnP

Enfin, on s’est émerveillé de la prestance exceptionnelle de Benjamin Adnet en Abderam, la séduction même dans son glamoureux costume façon Bakst de seigneur sarrasin. Tous les danseurs ont habituellement le port droit et large, certes, et parfois cela leur donne l’air compassé, ou figé, mais dans le cas du jeune Adnet, ce port devient souverain, cristallise le regard, et découpe l’espace autant qu’il l’anime par son envoûtante souplesse. On l’imagine en Esclave d’or de Shéhérazade, ou en prince de La Bayadère, en Oiseau de feu ou même sur la table du Boléro. Et autour de ces trois personnalités scintillantes, typiques de celles dont une troupe a besoin pour allumer les étoiles et s’attacher le public, une foisonnante série de variations, czardas et autres enlevés avec une fougue irrésistible par cette réjouissante escouade de jeunes gens ravis de vivre leur danse. Le public le leur a fait savoir !
 
Jacqueline Thuilleux

 

Spectacle de l'Ecole de Danse de l'Opéra de Paris - Paris, Palais Garnier, 15 avril ; prochaine représentation le 18 avril 2023. Soirée exceptionnelle Claude Bessy, le 19 avril 2023. www.operadeparis.fr
 
Photo : Concerto en ré (chor. Claude Bessy) © Svetlana Loboff / Opéra national de Paris

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