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​Semele selon Barrie Kosky à l’Opéra de Lille – Feu la mère de Bacchus – Compte-rendu

 Ayant éveillé la flamme amoureuse de Jupiter, Sémélé voulut voir son amant dans toute sa gloire divine ; ainsi mourut la fille de Cadmus, consumée par ses foudres du dieu des dieux, mais non sans avoir donné naissance in extremis au dieu du vin. Après avoir livré avec Saul ce qui reste peut-être son plus beau spectacle, Barrie Kosky a de nouveau été très inspiré par un oratorio en langue anglaise de Haendel, et sa vision de Semele avait enchanté le Komische Oper de Berlin en mai 2018 et en décembre 2019. Caroline Sonrier a eu l’excellente idée de faire venir cette production à Lille, où elle est présentée avec une distribution en partie renouvelée.

Elsa Benoît (Semele) © Simon Gosselin

Comme on avait pu le constater grâce à la captation diffusée sur Operavision, le feu par lequel périt l’héroïne est ici présent d’un bout à l’autre de la soirée : toute l’action se déroule en effet dans une sorte de palais brûlé à volonté, entre murs aux moulures calcinées et trumeaux noircis par la fumée, Sémélé surgissant au départ d’un tas de cendres pour finir par se jucher sur une cheminée, une urne funéraire à la main. Sans céder à la facilité d’une transposition quelconque, Barrie Kosky nous transporte dans des années 1950 rêvées, dans une haute société un temps ébranlée par l’annulation soudaine des noces d’Athamas, la mariée ayant été enlevée inopinément, mais où les apparences seront sauvées, Ino remplaçant fort opportunément sa sœur dans le cœur du marié, même si les paroles du chœur final, « Happy shall we be », sonnent bien ironiques lorsqu’elles accompagnent Jupiter et Junon  rabibochés par l’élimination de Sémélé. C’est d’ailleurs dans le maniement du chœur, justement, qu’éclate une fois de plus toute la maestria du metteur en scène australien, dont l’inventivité se déploie toujours dans l’art d’animer ce qui, loin d’être un bloc, devient entre ses mains un vrai rassemblement d’individualités.
 
Fidèle partenaire de l’Opéra de Lille dès qu’une œuvre baroque est au programme, Emmanuelle Haïm dirige la partition avec une rigueur qui, on s’en doute, n’exclut en rien la théâtralité nécessaire, puisque malgré sa qualité d’oratorio, Semele semble appeler la scène par ses qualités dramatiques. L’orchestre du Concert d’Astrée se produit en effectif très étoffé – une bonne trentaine d’instrumentistes – d’où une certaine opulence sonore bienvenue, et l’on admire chacune des interventions du chœur : est-ce parce qu’il se compose en grande partie d’anglophone qu’il déclame avec tant d’aplomb le texte de William Congreve ?

Ezgi Kutlu (Junon) & Evan Hughes (Somnus) © Simon Gosselin
 
Côté solistes, on retrouve quelques-uns de ceux qui avaient participé à la réussite berlinoise de ce spectacle. Rôle bref mais marquant, Somnus retrouve la voix d’Evan Hughes, qui paraît bien faible, le temps que le personnage s’éveille tout à fait, mais s’affirme très vite par la suite. Ezgi Kutlu renouvelle sa somptueuse Junon au timbre naturellement sombre, sans avoir besoin de poitriner pour en émettre les notes graves, et avec une assurance qui fait merveille pour l’épouse délaissée et vengeresse. Après Allan Clayton en 2018, c’est Stuart Jackson (photo) qui avait repris Jupiter en 2019 au Komische Oper : même origines britanniques, même carrure imposante qui fait du dieu un colosse auprès duquel Sémélé fait figure d’enfant, mais le timbre étonne d’abord par un côté nasal qui rappelle qu’on a découvert en France le ténor dans des rôles de caractère ; heureusement, la voix s’apure pour « Where’er you walk », et l’abattage de l’acteur stupéfie, notamment dans l’air « I mush with speed amuse her ». Ce Jupiter hénaurme apparaît comme un jouisseur très attaché aux plaisirs de la chair (humaine). Joshua Bloom donne à Cadmus et au Prêtre la voix de basse qu’on attend.

Paul-Antoine Bénos-Djian (Athamas) © Simon Gosselin

Et les quatre autres nouveaux-venus sont des artistes français. La toute jeune Emy Gazeilles éblouit autant par sa virtuosité vocale que par son assurance scénique : voilà une artiste qui semble avoir déjà toutes les cartes en mains pour faire une belle carrière. Victoire Bunel confirme ici toutes ses promesses en Ino, tandis que Paul-Antoine Bénos-Djian révèle son talent comique en Athamas maladroit ; en l’entendant ne faire qu’une bouchée d’un air comme « Despair no more shall wound me », on se demande quand le contre-ténor se verra enfin confier l’un des rôles centraux des opéras de Haendel.
Enfin, Elsa Benoît (photo) poursuit sa magistrale trajectoire avec un personnage où elle peut briller de mille feux, tant sur le plan théâtral, car Barrie Kosky refuse de faire de l’héroïne une ambitieuse superficielle, que vocal, avec une interprétation éclatante d’airs comme « No, no, I’ll take no less ». Après les triomphes remportés la saison dernière par l’Idoménée de Campra ou le Songe d’une nuit d’été de Britten, voici encore une bien belle victoire à mettre au crédit de l’Opéra de Lille.

 
Laurent Bury

Haendel : Semele – Lille, Opéra, 8 octobre ; prochaines représentations les 11, 13 & 16 octobre 2022 // www.opera-lille.fr/spectacle/semele/
 
Photo © Simon Gosselin

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