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​Scylla et Glaucus de Jean-Marie Leclair à Budapest – D’une Circé l’autre – Compte-rendu

 
En janvier dernier, les admirateurs de Véronique Gens (photo) avaient déchanté en apprenant que la soprano, étant indisposée, ne pourrait donner le meilleur d’elle-même dans le rôle-titre de la Circé de Desmarest recréée à l’Opéra royal de Versailles. Il aura suffi d’attendre à peine plus de deux mois pour que leur patience soit récompensée avec une autre Circé, celle qui contrarie les amours des protagonistes de Scylla et Glaucus. L’unique (hélas) opéra de Jean-Marie Leclair était ce 26 mars à l’affiche de l’Académie Franz Liszt de Budapest, dans une version concert coproduite par le CMBV avec l’Orfeo Orchestra et le Purcell Choir dirigés par György Vashegyi.
 
 © Jázon Kováts

Pas de redécouverte d’un état alternatif de la partition, cette fois, contrairement à l’habitude du CMBV, mais tout simplement – et c’est loin d’être négligeable – le plaisir de donner à entendre une œuvre majeure, dont il existe certes déjà deux intégrales au disque, mais abondance de biens ne nuit pas (et pas mal d’eau est passé sous les ponts depuis la version en 1986 que dirigeait John Eliot Gardiner). L’œuvre est chère à György Vashegyi, on le comprend : Leclair était un maître de l’orchestration, et sa musique inventive et raffinée n’a pas à rougir de la comparaison avec celle de son contemporain Rameau. Si les dialogues sont moins éloquents, les divertissements sont remplis d’airs et de danses superbes, et les interventions de la magie sont aussi l’occasion de déployer des sortilèges instrumentaux. Ce concert, qui suit immédiatement plusieurs jours d’enregistrement, permet d’apprécier la direction amoureuse du chef hongrois, de savourer les couleurs de son orchestre, et d’admirer une fois de plus les qualités de son chœur, dont la diction française est absolument remarquable et l’énergie tout aussi digne de louanges.
 

Cyrille Dubois © Jázon Kováts
 
Le partenariat franco-hongrois permet, comme à chaque fois, d’associer aux forces locales une brochette de solistes venus directement de France. Scylla et Glaucus repose sur un trio de rôles principaux, autour desquels gravite toute une constellation de personnages éphémères : deux artistes du Purcell Choir se détachent à plusieurs reprises du chœur pour interpréter quelques phrases (souvent en duo) dans un français exemplaire. Les autres petits rôles sont partagés entre trois chanteurs : si David Witczak, seule voix grave, un peu confiné aux utilités, est un habitué de longue date de ces productions, c’est depuis plus récemment que le CMBV fait appel à Jehanne Amzal, au délicieux timbre argentin, et à Hasnaa Bennani, dont le timbre plus central contraste agréablement avec celui de sa consœur.
Glaucus échoit à Cyrille Dubois, qui sert décidément à merveille le répertoire baroque chaque fois qu’il y fait une incursion, avec ce mélange d’aisance et de ferveur qu’il mettait il y a peu au service du Ferrando de Così.
 
György Vashegyi © Jázon Kováts
 
Très flatteuse pour l’orchestre, sans problème pour le chœur, l’acoustique de l’Académie Franz Liszt est en revanche peu propice à la compréhension du livret, élément pourtant primordial dans la tragédie lyrique : le ténor parvient à surmonter cet écueil, mais il n’en va pas toujours de même pour ses deux partenaires assurant les rôles principaux. De Judith Van Wanroij persiste toujours l’indéniable séduction vocale alors même que la réverbération du lieu rend inintelligible une partie de son texte ; pour Véronique Gens, qui jubile visiblement de jouer les Cruella, les rauques imprécations de la magicienne sont plus faciles à faire passer, mais même la grand tragédienne qu’elle est ne peut triompher d’une acoustique hostile. Dommage que cette salle, magnifique écrin représentatif de l’Art Nouveau hongrois, ne soit pas plus favorable à ce répertoire ; on s’en consolera avec le disque qui sortira dans quelques mois.
 
Laurent Bury
 

Jean-Marie Leclair, Scylla et Glaucus (version de concert) – Budapest, Académie Franz Liszt, 26 mars 2022 // cmbv.fr/en/cmbv-projects/hungary
 
Photo © Jázon Kováts

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