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Saison du jubilé de Notre-Dame de Paris - De Vierne à Leguay - Compte-rendu

L'année jubilaire célébrant les 850 ans du début de la construction de la cathédrale actuelle (1163) – année coïncidant avec la 20ème saison de Musique sacrée à Notre-Dame de Paris –, met en œuvre avant tout les forces « maison » : la Maîtrise et les cinq organistes. Ainsi lors du concert du 24 septembre, évocation des pratiques liturgiques de la seconde moitié du XIXe siècle et du tournant du siècle, rehaussée d'une création et témoignant à merveille de cet esprit de transmission et de lien entre tradition et élargissement du répertoire propre au lieu et à son histoire.

La soirée s'ouvrit sur quatre Offertoires de César Franck : les motets Quae est ista, Ave Maria, Quare fremuerunt gentes et Domine non secundum, pour chœur et orgue : la Maîtrise dirigée par Lionel Sow et Yves Castagnet à l'orgue de chœur. D'une certaine manière « conventionnelles » bien que d'une vraie et sereine beauté, en raison notamment de leur équilibre formel et d'une inventivité toujours en éveil, ces pages furent proposées dans une version adaptée à cette disposition. Destinées aux églises parisiennes, elles ajoutaient à l'accompagnement de l'orgue un violoncelle, une contrebasse, une harpe… Il faut bien reconnaître que le charme découlant de ces configurations mouvantes manquait à Notre-Dame, le format unique chœur et orgue – magnifiques l'un et l'autre (même si les solistes issus du rang ne furent pas tout à fait à la hauteur lors de leurs quelques interventions, sans rien ôter à l'ensemble de la prestation de la Maîtrise) – uniformisant quelque peu une musique aux atours en réalité plus divers, ainsi que les deux CD Offertoires et motets pour les saluts publiés par Aeolus (AE-10013, 2007 ; AE-10033, 2010) nous l'ont fait découvrir – Bernard Tétu dirige les Solistes de Lyon et la Maîtrise du CPM de Genève, Diego Innocenzi jouant le Cavaillé-Coll de Saint-François-de-Sales à Lyon.

S'ensuivit la création du Veni Sancte Spiritus d'Yves Castagnet, conçu pour le même effectif et affirmant d'emblée une rigoureuse continuité spirituelle. Une élégance toute fauréenne (mobilité de l'importante partie d'orgue), une harmonie qui n'ignore rien de l'apport d'un Duruflé, pour un résultat à la fois bel et bien de notre temps et s'inscrivant dans l'histoire ininterrompue de la pratique liturgique et du répertoire. D'emblée et spontanément lumineuse, la musique, suivant ardemment le texte, souligne les strophes médianes d'un chromatisme légèrement dépressif, à peine suspendu par un O lux beatissima plein d'espoir bien qu'aussitôt tempéré, avant de retrouver l'irrésistible fluidité initiale et de presque conclure sur un carillonnement radieux, à l'image de la joie éternelle évoquée, estompé par une conclusion toute de douceur et de décence. Un motet dont on imagine qu'il aura instantanément trouvé sa place dans la musique de la cathédrale.

Philippe Lefebvre fit ensuite entendre au grand orgue deux pages de Franck : Cantabile et Pièce héroïque, jouées avec une réserve (naturelle pour la première, pas toujours au rendez-vous pour la seconde) du meilleur effet, sans excès dynamique et avec empathie, comme si l'interprète s'était imposé de n'utiliser, dans l'instrument actuel, que le fonds Cavaillé-Coll conforme aux textures traditionnelles de l'orgue franckiste. La seconde partie de soirée fut consacrée à la populaire Messe solennelle pour chœur et deux orgues (1900) de Vierne – toujours Philippe Lefebvre en tribune et Yves Castagnet dans le chœur. La Maîtrise, avec les mêmes organistes, a d'ailleurs enregistré cette œuvre emblématique du lieu, sous la direction de Nicole Corti, avec en complément la Missa Deo Gratias de Jean-Pierre Leguay, commande de Musique sacrée à Notre-Dame de Paris (CD Hortus 055, 2006/2007). Ce 24 septembre, la Messe de Vierne était en tous points conforme à la tradition de Notre-Dame, pièce d'apparat (formidable Kyrie auquel répond un Gloria d'une puissante tenue) capable d'élévation et d'intime concentration (Sanctus-Benedictus-Agnus Dei). Ou comment offrir au public exactement ce qu'il est venu chercher – et avec quel panache !

On imagine que nombre d'auditeurs n'avaient par contre, lors du récital d'orgue du 8 octobre, qu'une très vague idée de ce qui les attendait. Et certains d'anticiper en jugeant le programme de Jean-Pierre Leguay (photo) d'une austérité excessive. Si Notre-Dame, a fortiori Jean-Pierre Leguay à Notre-Dame, s'interdisait ce type de programme – qui se révéla magnifique et gratifiant –, en quel lieu pourrait-on espérer entendre des œuvres méconnues réputées impuissantes à attirer un public ? Notre-Dame peut et doit se le permettre – et la magie du vocable fit le reste : 750 personnes (dont toujours une bonne part de touristes) dans une nef à l'écoute…

Année Titelouze oblige, Jean-Pierre Leguay en fit entendre le Veni Creator. Il faut un peu d'imagination pour entendre à Notre-Dame l'écho d'un orgue du début du XVIIe, mais le style avait l'éloquence requise, en adéquation au lieu et à l'instrument réel : Versets I & II parlant haut et clair, dans tout l'équilibre altier du plain-chant, le III avec poésie et souplesse, le IV dans l'éclat d'un chœur d'anches modéré. Autre anniversaire que l'interprète souhaitait honorer : les 75 ans de son ami le compositeur allemand Robert Maximilian Helmschrott, auteur d'un catalogue d'une remarquable ampleur dans quantité de genres, dont l'orgue – lui-même est organiste et a notamment gravé, sur l'ancien orgue Zeilhuber (1957) de la cathédrale de Munich, son gigantesque cycle Metamorphose (1967-1974), « Dialogue symphonique pour orgue et percussion » (CD col legno WWE 20012). Jean-Pierre Leguay proposa tout d'abord Nocturne sur G.E.H.A.D. (1990), étonnante et très belle méditation aux saveurs impressionnistes, d'une grande richesse de couleurs et de climats, vive sans jamais se départir de sa nature méditative et sereine. Puis un cycle plus ancien, Der Orgelpsalter (1972), « psautier » en cinq parties : Principio, saisissant de puissance, alla Messiaen ; Meditazione I, assez brève, moment de ressourcement nécessaire après l'exaltation initiale ; Litania, page la plus singulière, allant de surprise en surprise, sans rechercher l'effet, d'une vivacité et d'une acuité séduisantes ; Meditazione II, suspension en forme d'interrogation ; enfin Conclusione : la « détente » dans le mouvement et l'énergie. C'est peu dire que ces pièces de Robert Helmschrott firent l'effet d'une lumineuse découverte : une modernité, sur fond de complexité d'écriture et d'exigence musicale, aussi intéressante que sans doute accessible à l'auditeur même non averti.

Titelouze, Helmschrott : il fallait du Bach… sur l'affiche, même si Notre-Dame peut donc se permettre un tel programme. S'enchaînèrent deux Chorals (BWV 641 et 653) de déploration – mais si chantants et allants, humains et sans emphase ni dramatisation du discours musical, que la vie y demeurait toujours à hauteur d'espoir – et le grand Prélude et Fugue en ut mineur BWV 546 : Prélude sur tempo enlevé (et une registration un peu riche en anches), virtuose et d'une rigoureuse intensité ; Fugue sur registration constante, dense et pourtant modérée, d'un mouvement constamment sous contrôle laissant le chant s'épanouir. Une belle version de concert. Jean-Pierre Leguay referma ce récital, comme il se doit, avec l'une de ses œuvres, qui plus est en création : Chemin faisant (2013). Une approche assez différente de la modernité en regard de Helmschrott (dont les œuvres entendues sont certes sensiblement plus anciennes) au service d'un propos plus souriant que sa réalisation, splendide mais d'une tension que la présentation par l'auteur n'aurait sans doute guère laissé deviner : « […] se déroule ici une enfilade d'épisodes, d'événements essentiellement sélectionnés par le bon plaisir, pour leur sociabilité aussi. Il est dit en passant, ou prenant le temps, mais toujours dans la foulée d'une avancée. […] vers une issue inaperçue, imprévisible… ». Liberté de l'errance savamment pensée, mise en œuvre des contrastes brillamment construite : une pièce nullement facile mais qui séduit par l'imprévisibilité revendiquée, à l'instar d'un programme globalement à la fois si sobre et si « osé », musicalement et instrumentalement de toute beauté, dont on ressort édifié et apaisé.

Michel Roubinet

Notre-Dame de Paris, concerts des 24 septembre et 8 octobre 2013

Sites Internet :

Musique sacrée à Notre-Dame de Paris / Saison 2013
http://www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/spip.php?rubrique39

Concert du 24 septembre 2013
http://www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/spip.php?article274

Concert du 8 octobre 2013
http://www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/spip.php?article275

Robert Maximilian Helmschrott
http://www.robert-helmschrott.de/index.php?page=francais

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Photo : DR
 

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