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Rusalka à l’Opéra de Tours – Surcharge d’intentions – Compte-rendu

Des dix opéras composés par Dvořák, la postérité n’aura finalement retenu que l’avant-dernier, Rusalka (1900). Fortement imprégnée de musique allemande (Wagner, Brahms, R. Strauss), l’œuvre plonge au tréfonds du folklore tchèque en une époque de nationalisme exacerbé. S’y ajoutent onirisme, féerie et invention mélodique, alliés avec une invention toujours renouvelée. La production de Nuremberg et de Monte-Carlo reprise à Tours souffre d’une mise en scène plutôt absconse au symbolisme riche de propositions mais manquant de simplicité.

Directeur de théâtre, le Suisse Dieter Kaegi n’est pas un débutant mais paraît victime de son imagination débordante et multiplie les effets au détriment de l’impact poétique. Le décor conjugue deux lieux qui ne se rencontrent pas : d’un côté un grand bassin où s’égaient les personnages du monde aquatique et de l’autre la représentation du château du Prince en arrière-plan avec le ballet des courtisans caricaturés par les costumes de Francis O’Connor d’un baroque détonant. Les lumières souvent crues de Patrick Méeüs et les couleurs hollywoodiennes ne favorisent guère l’impression de mystère que l’on attend.
Beaucoup de détails restent une énigme, telle la présence de deux jeunes gens apparaissant à moto au début du spectacle, se dévêtant, puis plongeant dans l’étang pour réapparaître seulement à la fin, ou encore les marionnettes actionnées sans grâce par les trois nymphes lors de leurs déplacements.


© Marie Pétry

Kaspar Zehnder connaît la musique de Dvořák en profondeur (il est actuellement directeur artistique de l’Orchestre de Bienne mais a aussi succédé à Jiri Bělohàvek à l’Orchestre Philharmonique de Prague), mais il n’a sans doute pas pris l’exacte mesure de l’acoustique du Grand Théâtre de Tours. S’il se montre à son affaire sur le plan rythmique, il confond parfois, par la puissance des tutti et la force de l’accompagnement, concert symphonique et musique d’opéra. L’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours, quant à lui, reste fidèle à la qualité qu’on lui a connue durant les années Ossonce.

En Rusalka, la Turque Serenad Uyar (une prise de rôle) projette bien sa voix mais ne possède pas la fragilité de la nymphe des eaux (Romance « à la lune ») qui rêve naïvement de devenir humaine pour épouser son bien-aimé. Le Prince, Johannes Chum, ne lui facilite pas la tâche : raide sur le plateau, il force souvent le ton et son aigu nasal n’est pas à l’abri de défaillances. Cette impression se renforce d’autant plus que la basse Mischa Schelomianski incarne dans sa mare des origines un Ondin spectaculaire au timbre profond, riche, et d’une humanité qui manque justement à l’ensemble du spectacle. La sorcière Ježibaba de Svetlana Lifar, sardonique mais non dénuée d’humour, tient bien son rang comme d’ailleurs la Princesse étrangère d’Isabelle Cals aux apparitions fugaces mais bien senties. Seconds rôles bien distribués : outre le Marmiton au beau phrasé de Pauline Sabatier et le Garde Forestier d’Olivier Grand, voix ample, on retiendra l’homogénéité de la prestation des trois nymphes : Jeanne Crousaud, Yumiko Tanimura et Aurore Ugolin, dignes des Filles du Rhin de la Tétralogie. Sans démériter, ce spectacle bien reçu par le public laisse sur sa faim, oublieux de la magie qui fait le prix d’une superbe partition.

Michel Le Naour

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Dvořák : Rusalka - Tours, Grand Théâtre, 21 mai 2017
 
Photo © Marie Pétry
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