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Rentrée du Centre de Musique de Chambre de Paris – Ils font un Mahler ! – Compte-rendu

Paris s’est certes doté de salles de concerts remarquables depuis quelque temps mais, cela n’y change strictement rien, le plaisir est toujours aussi grand de vivre un moment de musique à la salle Cortot, écrin parfait que le grand Alfred complimentant l’architecte Perret qualifia de « Stradivarius ». Un écrin de plus en plus fréquenté depuis que la veille dame de la rue Cardinet est sortie d’une longue torpeur. La création du Centre de Musique de Chambre de Paris en 2015, à l’initiative du violoncelliste Jérôme Pernoo, aura à cet égard joué un rôle décisif et les choses ne sont pas près de changer si l’on en juge par les qualités du programme sur lequel s’ouvre la saison 2017-2018 du Centre. Il se donne les jeudis, vendredis et samedis jusqu’au 9 décembre.

Le Quatuor Zaïde © Neda Nevae

En première partie de soirée, le Quatuor de César Franck sous les archets du Quatuor Zaïde (Charlotte Juillard, Leslie Boulin Raulet, Sarah Chenaf, Juliette Salmona). Tous les quatuors ne connaissant pas le sort – mérité ô combien ! – de ceux de Debussy, Ravel et Dutilleux : avec les Quatuors de Lalo, de Chausson ou, au XXe siècle, celui – touffu mais si fascinant – de Florent Schmitt (puisse le Centre de Musique de Chambre y penser un jour ...), l’ouvrage de Franck fait partie de ces solitaires du répertoire chambriste que l’on n’entend pas assez souvent. Après avoir signé il y peu un très bel enregistrement du Quatuor en ré majeur – couplé avec Chanson perpétuelle de Chausson (1) – les Zaïde reviennent à cette partition en concert.
Dès l’attaque du mouvement initial, la franchise et la plénitude que le premier violon met dans l’énoncé du thème fondateur signalent des interprètes au cœur de leur sujet. On les suit avec un bonheur sans mélange dans les complexes entrelacs de l’ultime réalisation chambriste de Franck, au fil d’une interprétation tout à la fois dense et aérienne (fabuleux Scherzo !), engagée, charnelle et intensément lyrique, jusqu’à la puissante conclusion de l’Allegro molto.

Comme de coutume au Centre, la pause offre à ceux qui le souhaitent la possibilité d’assister au « Freshly Composed », sympathique moment pour lequel Jérôme Pernoo invite un jeune compositeur à présenter une réalisation récente. John Gade est le premier de la saison et, au piano, interprète trois charmeuses miniatures pour violon et clavier, avec le concours de l’excellent Emmanuel Coppey à l’archet.

© Jeroen Suys

Vient le moment de la seconde partie de soirée, occupée par le concert-spectacle conçu autour d’une œuvre fameuse, en l’occurrence Les Chants du Compagnon errant de Mahler (dans l’arrangement chambriste d’A. Schoenberg) confiés à Laurent Naouri. Ces quatre lieder constituent la prenante conclusion d’un « Parlez pas de Mahler ! » dont des pages de Poulenc, Bach, Haydn, Jérôme Ducros et Beethoven forment les autres ingrédients. Marianne Pernoo-Bécache (dramaturgie), Amélie Compain et Jean-Rubak (animations), Iris Feix (régie et lumières) ont imaginé un spectacle que l’on se gardera bien de trop déflorer. Il y est question de palindrome, d'échanges sms ; le résultat s'avère incroyablement vivant, prenant et surprenant (jamais vous n’aurez entendu de cette façon le Tremblement de terre des Sept dernières Paroles du Christ !), drôle et émouvant. Il prouve en outre que le Centre de Musique de Chambre a franchi un cap qualitatif décisif quant à la mise en œuvre technique de ses projets.

Cécile Laure Kouassi & Laurent Naouri © Jeroen Suys

Totalement impliqué, qu’il s’agisse de Mahler ou de La Mort du Poète de J. Ducros, Laurent Naouri parvient à une osmose parfaite avec les jeunes membres de la troupe du Centre de Musique de Chambre (2), qui, jouant le plus souvent par cœur, s’impliquent corps et âme et se meuvent au cours d’un spectacle impeccablement réglé. Courrez découvrir « Parlez pas de Mahler ! » toutes affaires cessantes et n’hésitez pas à entraîner vos amis, qu’ils soient amateurs de classique où totalement novices, voire même un brin réfractaires ; vous pourriez être étonné du résultat ...

Alain Cochard

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Paris, Salle Cortot, 23 novembre ; reprises les jeudis, vendredis et samedis jusqu’au 9 décembre 2017 (Franck à 19h30 ; « Parlez pas de Mahler ! » à 21h) / www.centredemusiquedechambre.paris/
 
(1) 1 CD #NoMadMusic (avec Karine Deshayes et Jonas Vitaud pour l’ouvrage de Chausson)

(2) Javier Rodriguez (flûte), Bertrand Laude (clarinette), Nadia Bendjabellah (percussions), Sophie Aupied (accordéon), Ryo Kojima (violon), Brieuc Vourch (violon), Tangy Parisot (alto), Carole Sypniewski (violoncelle), Cécile-Laure Kouassi (contrebasse) et Yedam Kim (piano)

Photo © Jeroen Suys

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