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Rencontre avec... un compositeur contemporain - Thierry Pécou - L’invitation au voyage

La lecture des titres des œuvres de Thierry Pécou est à elle seule une invitation au voyage : s’y bousculent les mythologies de l’Amérique précolombienne dans une dimension souvent très rituelle, et le tango (1). L’écoute le confirme : c’est une musique qui se nourrit de sons puisés à tous les vents du monde, celle d’un musicien qui redonne son actualité, sa modernité à la figure, emblématique du romantisme, du musicien poète et voyageur.

Invité récemment par Laurent Petitgirard à interpréter avec l’Orchestre Colonne son « concerto-carnaval » pour piano et orchestre, Tremendum, il le présente comme une évocation du Brésil, où les influences cependant ne se limiteraient pas aux rythmes de samba. Sa musique, toujours guidée par un fil dramatique, par des « idées poétiques en arrière-plan », ne se résume jamais à une simple juxtaposition d’états ou à une multitude de couleurs. Et il y a, en effet, chez Thierry Pécou, une façon unique de lier entre eux des éléments a priori disparates dans un langage qui, sans tourner le dos à la tradition occidentale et à ses prolongements au XXe siècle, prend toujours ses distances avec cet héritage trop proche. « J’aime ce qui est le plus loin de moi, dit-il, c’est ce qui m’inspire le plus ».

Diverses façons de voyager

Olivier Messiaen parcourait le monde, carnet en poche, pour y noter le chant d’une fauvette ou celui de l’oiseau-lyre. Thierry Pécou avoue avoir traversé les océans, s’être rendu à Cuba ou au Mexique « pour y trouver une source d’inspiration, une idée ». Aujourd’hui, son emploi du temps de compositeur, de pianiste, ses activités avec l’ensemble Variances qu’il a fondé lui laissent moins le loisir de ces déplacements ; Thierry Pécou privilégie alors d’autres voies du dépaysement, « des façons de voyager qui n’impliquent pas le déplacement dans l’espace. Mes sources d’inspiration ont changé, constate-t-il. Elles sont davantage philosophiques, inspirées par mes lectures ».

Voilà donc pour l’inspiration. L’écriture prend le relais, selon des rythmes différents en fonction des œuvres. « Je ne travaille jamais sur deux œuvres en même temps, mais il me semble nécessaire, pour les partitions les plus importantes – œuvres pour orchestre ou opéras – , d’avoir un temps de maturation, de laisser reposer l’œuvre pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. C’est pourquoi j’alterne fréquemment l’écriture de deux voire trois œuvres qui s’imbriquent dans le temps. »

De l’œuvre comme carnet de bord

À côté des grandes pages pour orchestre, éventuellement concertantes, et des opéras – aujourd’hui au nombre de trois –, le catalogue de Thierry Pécou recèle nombre de pièces brèves, qui semblent comme des notations, des fragments de journal sonore. « Souvent, dans le cours de la composition d’une grande pièce, je m’interromps pour écrire une pièce de musique de chambre. Ce n’est pas plus facile, mais cela demande moins d’énergie. C’est d’ailleurs une question qui m’a toujours troublé : pourquoi est-il plus fatigant d’écrire pour l’orchestre que pour quatuor à cordes alors que la matière, une fois que l’on est devant sa table, est quasiment la même ? Sans doute la force sonore, la matière même pour laquelle on écrit a-t-elle une influence sur le métabolisme ».

Il y a chez Thierry Pécou une continuité de la pensée et de l’inspiration qui trouve à s’exprimer dans des cycles se nourrissant de la même inspiration, de la même source littéraire ou philosophique. Un projet de cycle d’œuvres pour instruments concertants est ainsi bâti autour du mythe mexicain des « cinq soleils » ; le premier volet, Soleil-Tigre pour violoncelle et piano sera créé dans le cadre des « Musicales » de Colmar en mai prochain par Marc Coppey et Alexander Melnikov. Le rôle des interprètes est ici primordial. « Il arrive souvent que des interprètes me demandent d’extraire de partitions de grande envergure des formes plus réduites qui puissent se transporter dans d’autres contextes. J’ai par exemple tiré pour Alexandre Tharaud une suite pour piano d’Outre-mémoire, à l’origine un quatuor avec piano qui dure une heure dix. J’ai aussi extrait plusieurs partitions de mon opéra Les Sacrifiées (voir un extrait vidéo) : une petite suite, Chants des sacrifiées pour voix et cinq instruments qui reprend des airs importants de l’opéra, un trio de flûtes (Chant de Saïda) écrit pour le Trio d’Argent ou encore trois miniatures pour piano seul ».

Donner forme à l’imaginaire des interprètes

Thierry Pécou reconnaît que ce travail avec ses interprètes est très stimulant : « le geste de l’interprète, sa personnalité viennent habiter l’imaginaire compositionnel. Souvent, un interprète s’adresse à un compositeur avec une sorte de fantasme personnel qu’il aimerait réaliser. Pour L’Oiseau innumérable, j’ai beaucoup discuté avec Alexandre Tharaud de la philosophie du concerto, de ce qu’il imaginait, du rapport avec l’orchestre. De même, David Harrington, le premier violon du Quatuor Kronos, qui m’a commandé un quatuor [qui sera créé en novembre au Théâtre de la Ville] avait vraiment une idée très détaillée de ce qu’il attendait. C’est très stimulant pour l’imagination, ça me donne un argument, un peu comme lorsque je travaille à partir d’un poème ou d’un livret d’opéra ». Le travail du compositeur est alors de « faire éclater cette trame », même si les musiciens se retrouvent finalement dans l’œuvre achevée.

C’est la même envie de relier son travail de compositeur au « concret de l’interprétation » qui a conduit Thierry Pécou à fonder l’ensemble Zellig (voir une extrait video plus bas) en 1998 et, récemment, l’ensemble Variances, qui sont un peu les laboratoires de son activité compositionnelle. Variances, implanté en Martinique, se veut être la plate-forme d’un « échange entre les musiques de tradition orale et la création musicale contemporaine ». C’est un ensemble qui a vocation à porter des « projets atypiques », en synergie autour de l’imaginaire du compositeur.

L’opéra, une grande forme populaire

Ce compositeur à l’imaginaire si personnel n’allait-il pas se sentir corseté par un sujet d’opéra aussi daté que La Mère coupable de Beaumarchais ? « Aborder cette commande était une contrainte. Mais ce dialogue que j’ai avec les cultures du monde existe aussi avec notre culture occidentale – c’était le cas pour L’Homme armé [une œuvre de 1996 mise en regard de la Messe de Guillaume Dufay]. Cependant, on trouve toujours des astuces pour trouver sa liberté ». La première liberté a été de ne pas travailler directement sur le texte de Beaumarchais, mais de confier la rédaction du livret à Eugène Green, « un auteur capable de s’approprier un texte de cette époque, en le détournant et en lui donnant sa modernité. ». Restait à acclimater le texte au langage du compositeur. « Je ne pensais pas, tout d’abord, y apporter mon expérience d’autres musiques du monde. En réalité, j’ai trouvé un point de contact avec le tango argentin : cette musique, son rythme, sa suavité accompagne parfaitement la construction de l’un des personnages principaux, une espèce de Tartuffe, un escroc professionnel à la psychologie variable ».

Thierry Pécou a voulu porter un texte qui soit intelligible. « Il est important que la voix soit le vecteur du texte. Le délire musical se passe ailleurs, essentiellement dans l’orchestre. Pour moi, l’opéra reste une grande forme populaire, en contact avec toutes les couches de la société. C’est une conception que l’on a un peu perdue de vue au XXe siècle et il me semble intéressant de refaire le pas dans l’autre sens, de rapprocher l’opéra du cinéma, de montrer qu’il peut parler à tout le monde. L’opéra offre un espace pour traiter des grands sujets contemporains, ce que j’avais fait avec Laurent Gaudé dans Les Sacrifiées. »

Jean-Guillaume Lebrun

Propos recueillis le 8 avril 2010 à l’Opéra de Rouen

(1) Ñawpa, Laccampu, Sikus, une Élégie sur le royaume tchong (sur un poème de Ségalen) ou les Voix marines (sur des poèmes d’Olivia McCannon).

Dans l’actualité :
L’Amour coupable (création) à l’Opéra de Rouen-Haute Normandie du 23 au 27 avril 2010
Soleil-Tigre pour violoncelle et piano (création) aux Musicales de Colmar le 15 mai 2010

Le dernier disque consacré aux œuvres de Thierry Pécou est paru chez Harmonia Mundi. Il rassemble deux œuvres symphoniques : Symphonie du Jaguar (2003) et Vagues de pierre (2005).

Photo : DR
 

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