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Rencontre avec Gisèle Magnan, fondatrice et directrice des Concerts de Poche – Là où l’on aime la musique

Qui ne tente rien … Prenant sa plus belle plume en 2009 pour adresser une invitation à Gustav Leonhardt, Gisèle Magnan, fondatrice et directrice des Concerts de Poche, avait « le sentiment de jeter une bouteille à la mer ». Quelle ne fut pas sa surprise de recevoir en réponse une missive manuscrite du pape des clavecinistes ; deux pages et demie dont la substance tenait en ces mots : « où l’on aime, je viens. » La promesse ne tarda guère à se réaliser et, dès 2010, Leonhardt se produisit à plusieurs reprises aux Concerts de Poche.
 
Une action de décentralisation culturelle exemplaire
 
Gisèle Magnan ne pouvait rêver plus belle marque de reconnaissance envers une série de concerts officiellement lancée en 2004-2005, après quelques balbutiements dès 2002. Sa mission ? Amener la musique là où elle ne va jamais ou presque, inviter les meilleurs interprètes à offrir au public - parfois pour la première fois de leur vie s’agissant de certains auditeurs - les chefs-d’œuvre de l’art musical. Ceci dans les conditions les plus accessibles : les tarifs oscillent entre 7 et 9 € pour le plein tarif, tarif réduit à 5 €.
 
« A quoi pensez-vous quand vous attaquez la 9ème Symphonie de Beethoven, demanda-t-on un jour à Herbert von Karajan ? A celui qui l’entend pour la première fois, répondit-il à un interlocuteur désarçonné par une réponse un peu prosaïque à son goût.» Il est des choses dont on a peu conscience dans certains cénacles parisiens… C’est grâce à une perception aiguë des réalités du terrain que Gisèle Magnan et ses Concerts de Poche connaissent le succès qui est le leur. Si un prix de la décentralisation musicale existait en France, à coup sûr ils seraient parmi les mieux placés pour le remporter.
 
Concertclassic avait rencontré Gisèle Magnan en septembre 2008 (1) : les Concerts de Poche connaissaient déjà un bel essor puisque des 8 concerts de 2005 on était passé à 40 et 50 étaient programmés sur l’année 2009. Sur le plan géographique les activités demeuraient toutefois largement cantonnées au département-berceau de la Seine-et-Marne et les initiatives hors du 77 plutôt rares. Le mouvement était toutefois amorcé… (les Régions Nord et Champagne-Ardenne ont participé à l'aventure dès 2006). En 2011, on comptait cinq régions françaises concernées, elles sont 14 à ce jour (avec un total de plus de 80 concerts !) et, dans peu de temps, la Bretagne s’ajoutera à la liste avec un beau bouquet d’airs d’opéras de Mozart interprétés par une équipe de jeunes chanteurs et un ensemble instrumental mené par David Walter (le 14 décembre à Sixt-sur-Aff, Ille-et-Vilaine).
 
Si les Concerts de Poche sont déjà présents en Midi-Pyrénées, le département de l’Aveyron ne fait pas encore partie de leur réseau. Ce sera le cas à partir de ce 13 décembre avec la venue de Thomas Enhco et Vassilena Serafimova à Belmont-sur-Rance, avec un revigorant programme « multi-percussions » de Bach à Piazzolla.
L’ajout de la Bretagne et de l’Aveyron au réseau des Concerts de Poche illustre le développement « par capillarité » qui les caractérise. « Les communes où nous venons ont toujours envie de recommencer, explique Gisèle Magnan, mais par bouche à oreille, la commune d’à côté nous contacte et qui dit commune d’à côté dit souvent département d’à côté, région d’à côté… »
 

Quatuor Modigliani © Sylvie Lancrenon
 
Le soutien décisif du Mécénat musical Société Générale
 
« Un tournant s’est produit en 2013. Nous avions énormément d’appels venant de la France entière (il y en a même eu de Guadeloupe) ; ils provenaient souvent des quartiers de grandes agglomérations, mais de plus en plus de petites communes rurales, se souvient Gisèle Magnan. Comment y répondre ?, nous étions assez désemparés. C’est le mécénat qui nous a permis de trouver des solutions et de poursuivre notre développement. »
 
« Le Mécénat musical Société Générale, qui nous soutenait depuis 2007, a été vraiment convaincu par les perspectives qui s’offraient à nous et a décidé de multiplier son aide par trois en 2013. Je n’oublie pas non plus l’aide que la Fondation Daniel et Nina Carasso nous apporte depuis 2013, spécifiquement pour le développement en milieu rural, mais aussi celle de la Fondation France Télévisions, celle que nous avons pendant un temps reçue de la Fondation Orange ou encore celle de la Caisse des Dépôts et Consignations, indéfectible depuis 2006.»

Michel Dalberto © DR
 
L’instructive expérience de la « Carmen de poche »
 
Un peu plus de 80 concerts et 1000 ateliers musicaux (220 villages et quartiers ; 37000 personnes concernées) en 2014 : les chiffres soulignent l’ampleur prise par les Concerts de Poche depuis 2013. Celle-ci va de pair avec une diversification des propositions. De ce point de vue, 2010 aura été un moment important avec la « Carmen de poche ».
Outre son énorme succès public, ce spectacle a beaucoup apporté en matière de savoir-faire. « Il s’agissait d’une adaptation de l’ouvrage de Bizet d’une durée d’une heure quarante, explique Gisèle Magnan. A chaque fois que nous avons donné ce spectacle dans une commune, nous avons systématiquement organisé des ateliers avec les habitants qui le souhaitaient. Pendant quatre mois en amont, nous leur faisions préparer les chœurs de Carmen qui, au bout du compte, étaient donnés en lever de rideau. Venant de gens qui n’avaient parfois jamais eu de contact avec la musique, cela a produit des résultats souvent assez incroyables ! L’équipe des Concerts de Poche a pour sa part beaucoup appris de l’organisation de ces ateliers ; nous avons pris le coup de main pour mettre la population sur la scène avec les artistes. Artistes qui peuvent par exemple être le Quatuor Modigliani, Augustin Dumay, Michel Dalberto et Michel Portal, tous des fidèles de longue date des Concerts de Poche. »
 
Donner la main pour faire les premiers pas
 
« Ils le font avec énormément de cœur. C’est très important dans notre démarche et c’est aussi ce qui fait son succès, auprès du public et auprès d’artistes qui ont envie de revenir avec de nouvelles idées, envie de nous proposer des collègues. Je fais toujours attention à choisir des artistes vibrants et engagés afin que les auditeurs que nous amenons pour la première fois au concert, dans un lieu de spectacle, aient envie d’y retourner, d’en redemander. Et aussi d’aller, sur leur territoire, vers des manifestations qui leur sont proposées dans d’autres cadres que celui des Concerts de Poche. Grâce aux artistes qui nous font confiance, nous leur donnons la main pour faire les premiers pas. »
 
« Beaucoup de liens ont été tissés avec les acteurs de la vie culturelle locale : ça aura été le cas ce mois-ci à Armentières - une commune près de Lille où nous sommes déjà allés plusieurs fois -, dont la Scène conventionnée (Le Vivat) nous a demandé d’être présents, en l’occurrence avec Jean-François Zygel, afin d’amener un nouveau public.»
L’expérience et le savoir-faire de Gisèle Magnan et de son équipe commencent à être largement reconnus. «J’ai rencontré Laurent Bayle et certains de ses collaborateurs il y a peu, confie-t-elle. Nous allons voir dans quelle mesure ce que nous faisons déjà dans la Grande Couronne, mais aussi dans l’Yonne ou le Loiret, pourrait contribuer à amener du public jusqu’à la Philharmonie de Paris. L’an dernier des gens qui étaient venus écouter Augustin Dumay aux Concerts de Poche ont cassé leur tirelire quelques mois plus tard pour se rendre à son récital au Théâtre des Champs-Elysées avec Louis Lortie, dans un tout autre décor donc. »

edgar moreau 2014

Edgar Moreau © Julien Mignot
 
Un outil pour les artistes et les territoires
 
Comment de nouveaux artistes en viennent-ils à se produire aux Concerts de Poche ? Gisèle Magnan continue à leur écrire parfois. Elle l’a fait il n’y a pas très longtemps avec Till Fellner et Stephen Kovacevich, qui l’un et l’autre ont répondu positivement. Le premier se produira d’ailleurs à Auxerre l’an prochain (13 février).
Les affinités entre les artistes jouent un grand rôle aussi « Edgar Moreau est venu par le Quatuor Modigliani, qui était lui-même venu avec Michel Dalberto et Jean-Marc Luisada, se souvient Gisèle Magnan. Le Quatuor Ebène est venu par Philippe Cassard, qui joue souvent pour nous, et qui s’est produit avec Karine Deshayes par exemple. « 
« Il faut aussi remarquer que les Concerts de Poche sont devenus une vraie plateforme : les artistes viennent y faire des expériences, ils y apprennent à s’adresser à un public, à faire passer des idées qui leur tiennent à cœur. C’est aussi une plateforme pour les territoires : nous sommes un outil de lien social avec lequel les territoires construisent, pour innover, pour avoir des propositions artistiques exigeantes auxquelles tout le monde est associé. La venue de grands artistes permet aux territoires de s’emparer de propositions et de construire avec nous des actions de lien social. »
On gardera les noms de certains interprètes secrets pour 2015 (la saison des Concerts de Poche débute en mars), mais de très belles surprises attendent le public…
 
Une équipe soudée par la passion de la musique
 
Il suffit de dialoguer quelques instants avec Gisèle Magnan pour comprendre que l’enthousiasme et la passion pour la musique forment le « carburant » des Concerts de Poche. Ce n’est pas la moindre fierté de leur fondatrice que de partager aujourd’hui le succès avec l’équipe qui l’entoure. « Je suis heureuse, confie-t-elle, d’avoir pu créer dans la conjoncture actuelle - et dans la musique classique de surcroît - 17 emplois pérennes en CDI. Les rémunérations sont modestes, nous ne comptons jamais les heures, le travail est énorme, et c’est la passion pour ce lien social à travers la musique qui permet à l’équipe de fonctionner. Sans son engagement il y a longtemps que je n’y arriverais plus, conclut Gisèle Magnan. »
Pour l’instant, cap sur la Bretagne et l’Aveyron et, on en prend le pari, la conquête n’est pas près de s’arrêter !
 
Alain Cochard
(entretien réalisé le 21 novembre 2014)
 
(1) Lire l’ITV : www.concertclassic.com/article/trois-questions-gisele-magnan-directrice-artistique-des-concerts-de-poche

Voir la vidéo des concerts de poche
 
Site des Concerts de Poche : concertsdepoche.fr

Photo Gisèle Magnan © Christian Cazenave

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