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Rencontre avec George Benjamin – « La musique dérange et dévore le temps »

Lessons in Love and Violence est donné en création française à l’Opéra de Lyon à partir de ce mardi 14 mai, sous la baguette d'Alexandre Bloch et dans la mise en scène de Katie Mitchell, avec Stéphane Degout et Georgia Jarman en tête de distribution. C’est le troisième ouvrage scénique de George Benjamin (photo), après un « conte lyrique », Into the Little Hill en 2006 (1), et un ouvrage de grande envergure, Written on Skin, qui a immédiatement rencontré un très grand succès après sa création au Festival d’Aix-en-Provence en 2012 (2).
 
Le cheminement du compositeur britannique, né en 1960, vers l’opéra n’a pourtant, d’abord, rien eu d’une évidence. Le jeune élève d’Olivier Messiaen – et d’Yvonne Loriod pour le piano – s’exprime en premier lieu par les couleurs et la vigueur rythmique de ses compositions instrumentales : une Sonate pour piano, créée à Paris dès 1978, puis une fascinante fresque orchestrale, Ringed by the Flat Horizon (1980), qui aura rapidement les honneurs de chefs tels Mark Elder, Andrew Davis, Esa-Pekka Salonen, Kent Nagano ou Pierre Boulez. Quand la voix arrive, l’année suivante, dans A Mind of Winter, sur un poème de Wallace Stevens, ce sont encore les magnifiques images orchestrales, qui se déploient autour du chant cristallin de la soprano, qui émerveillent.
 

George Benjamin à sa table de travail © Matthew Lloyd
 
Durant ces années où il compose encore At First Light pour orchestre de chambre (1982), saisissant mélange de fluidité et de vifs mouvments, et Antara (1987), où l’électronique vient délicatement s’insérer dans le tissu instrumental, George Benjamin cependant pense à l’opéra. En 1985, Covent Garden le sollicite. L’envie d’écrire un opéra est bien là, nourrie par les lectures, les spectacles, les films qui rejoignent dans un carnet la liste des « futurs potentiels sujets d’opéra », mais pour l’instant sans lendemain. « Je n’étais alors pas prêt ni suffisamment ouvert pour une collaboration, reconnaît aujourd’hui le compositeur. J’étais dans un moment de recherche stylistique et technique, j’avais besoin d’un travail plus abstrait. »

La rencontre avec Martin Crimp est décisive, à un moment où George Benjamin est sur le point de se résoudre à renoncer à l’opéra : « Cette rencontre a été une grande chance, car Martin a les clefs pour moi : ses structures, sa façon de commencer une narration ont littéralement déclenché mon écriture. J’ai composé Into the Little Hill en six ou sept mois, ce qui est très rapide pour moi. Cela ne veut pas dire que j’ai écrit sans réfléchir : cela faisait vingt ans que je réfléchissais ». Dans l’écriture de Martin Crimp, George Benjamin trouve les pleins et les vides où vient s’accrocher l’imaginaire musical : « Les mots de Martin sont des défis, des jeux, des cadeaux ; ils ne dictent jamais la musique, mais ils l’inspirent et la déclenchent ».
 

Alexandre Bloch © Laura Baker
 
Les sujets mêmes des opéras de George Benjamin et Martin Crimp invitent l’auditeur à l’imaginaire – et le spectateur aussi, tant les mises en scènes de Katie Mitchell pour Written on Skin et Lessons in Love and Violence montrent sa compréhension de leur univers. Ce sont des histoires anciennes, plus ou moins des contes, qui parlent de notre temps mais de façon détournée, jamais anecdotique, comme un « miroir profond ». C’est ainsi que la musique peut dire le monde, non par imitation mais par métaphore. « La musique, par la forme, par le rythme, peut changer notre perception du monde, parce qu’elle dérange et dévore le temps, plus qu’aucun autre art », souligne le compositeur. D’où sans doute cette dimension de rêve, cette suspension onirique que l’on retrouve souvent au cœur de ses opéras, mais aussi des autres pages vocales (A Mind of Winter, Dream of the Song) et de nombreuses œuvres orchestrales (Antara, Three Inventions).
 

Stephane Degout incarne le personnage du Roi dans Lessons in Love and Violence © Jean-Baptiste Millot

« Il faut des temps très différents dans un opéra, ou même dans toute œuvre, dit encore George Benjamin. Et même, tout change d’une mesure à l’autre. Ce n’est pas par volonté de complexité ; au contraire, à l’opéra, toute complexité superflue doit être bannie ». De fait, la clarté, la transparence sont des qualités évidentes de la musique de George Benjamin – et particulièrement de ses opéras. Cela tient, précise-t-il à une conception « empirique » du métier de compositeur : « Les chanteurs doivent savoir s’ils chantent la bonne note, sinon ils compensent par le vibrato, c’est-à-dire l’effacement des notes précises. Or c’est de là que vient l’émotion du chant ».

Empirique, le compositeur, l’est encore lorsqu’il prend le soin de diriger les premières représentations d’un ouvrage : « J’aime les premières répétitions, c’est là que je peux corriger les détails, mais après j’ai envie de passer la main ». À Lyon, George Benjamin a confié les clefs de Lessons in Love and Violence au jeune Alexandre Bloch (le directeur musical de l’Orchestre national de Lille). Avant de se plonger dans l’écriture d’un nouvel opéra, il savoure son autre vie : voyager, diriger, enseigner. On le retrouvera l’hiver prochain à la Maison de la Radio à Paris, invité du festival Présences. Puis viendra de nouveau l’appel des mots de Martin Crimp...
 
Jean-Guillaume Lebrun

Lessons in Love and Violence de George Benjamin – création française à l’Opéra national de Lyon
14, 16, 18, 20, 22, 24 et 26 mai 2019
 www.opera-lyon.com/fr/20182019/opera/lessons-love-and-violence
 
Une captation du spectacle lors de la création à Covent Garden en mai 2018 est disponible en DVD chez Opus Arte.
 
À lire : George Benjamin, Les Règles du jeu. Entretiens avec Éric Denut, MF, 2004.
À écouter : George Benjamin a enregistré, comme chef et pianiste, plusieurs de ses œuvres chez Nimbus Records.
 
Page consacré au compositeur chez son éditeur Faber Music : www.fabermusic.com/composers/george-benjamin
 
 
(1) L’ouvrage a été repris récemment au Théâtre de l’Athénée : www.concertclassic.com/article/little-hill-de-george-benjamin-lathenee-dimensions-du-conte-compte-rendu
 
(2) lire le compte-rendu : www.concertclassic.com/article/written-skin-de-george-benjamin-aix-en-provence-attention-chef-doeuvre-compte-rendu
 
Photo © Matthew Lloyd

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