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​Récital Karine Deshayes à l’Auditorium du musée d’Orsay - Noble palais, marbre latin – Compte-rendu

 
 
Au musée d’Orsay, le « triomphe de la mélodie et du lied » n’est pas illustré que par les lauréats de la Fondation Orsay-Royaumont : aux côtés de ces jeunes chanteurs qui, encore à l’aube de leur carrière, se produisent lors des concerts de midi ou des « Promenades » dans les salles du musée, l’Auditorium invite aussi, pour les récitals en soirée, des artistes confirmés dont le nom suffit à déplacer les foules.
Cette saison, c’est avec Karine Deshayes (photo) que le public se voit proposer le premier rendez-vous du soir, pour un programme tout entier consacré à la mélodie française.
 
Quatre noms seulement, et non des moindres : Berlioz, Gounod, Bizet, Fauré, chacun étant convoqué pour un ensemble de mélodies, entre trois et huit, ensemble dont la durée oscille entre un quart d’heure et vingt-deux minutes. Une construction équilibrée, chronologique, à l’architecture méditée, avec ses symétries et ses échos. Un parcours sur mesure où Karine Deshayes montre avec quelle noblesse il convient de chanter ce répertoire. « Mezzo-soprano » dit le programme de salle, mais entre sa récente Valentine des Huguenots à Bruxelles (elle était encore Urbain à Bastille en 2018) et sa prochaine comtesse des Noces de Figaro à Toulouse, on sait bien que son identité vocale est plus souple que ne le voudrait les catégories toutes faites. En ce 22 septembre, le grave est bien présent, les couleurs sombres sont bien là, mais l’aigu est vaillant et la virtuosité sans faille.
 
Berlioz d’abord, donc, avec en guise de tour de chauffe « La Belle Isabeau » : hélas – mais aussitôt après, ce reproche perdra sa raison d’être – la diction manque de clarté dans cette romance que l’on entend rarement. « La Captive » dégage en revanche une ineffable mélancolique, et c’est avec « Le Spectre de la rose » que s’affirme tout le dramatisme dont Karine Deshayes est capable, le poème de Théophile Gautier devenant un opéra miniature, rempli de théâtre et de passion. « Zaïde » vient terminer ce premier ensemble, première espagnolade d’un programme qui en inclura d’autres. Noblesse, encore, dans l’interprétation du « Soir » ou de « L’Absent » de Gounod, pages bien connues qui sont ici rapprochées d’un « Boléro » beaucoup moins fréquenté, pages dont l’ardeur vocalisante montre qu’un tempérament latin peut venir animer la majesté du marbre.
 
Après l’entracte, Bizet est d’abord illustré par « Ouvre ton cœur », où le jeune compositeur se montre encore bien malhabile en matière de prosodie (cette mélodie, initialement conçue comme une « sérénade espagnole », sera peu après confiée au Jeune Bulgare dans son Ivan IV). Quelques années plus tard, Bizet signe son chef-d’ œuvre dans le genre avec « Les Adieux de l’hôtesse arabe ». Vient ensuite une autre grande réussite du compositeur, « La Coccinelle », où la reine Karine descend un instant de son piédestal pour montrer qu’elle est capable de changer de ton. Hélas, le tempo choisi est par trop rapide pour que l’on profite vraiment de tout l’humour mis par Hugo dans ce poème. Cette pièce fait exception au cours d’une soirée où, au contraire, on apprécie la grande justesse des choix interprétatifs de la pianiste Hélène Lucas, en parfaite adéquation avec sa partenaire.
 
Fauré, enfin, dans une optique évidemment bien différente de celle que choisit Cyrille Dubois dans sa récente intégrale, un Fauré ici plus proche de l’opéra, avec malgré tout d’impalpables « Roses d’Ispahan », entre autres, et quatre extraits de La Bonne Chanson qui achèvent de séduire le public venu nombreux.
 
Les artistes accordent un premier bis qui prolonge le parcours jusque dans les premières années du XXe siècle : « A Chloris » de Reynaldo Hahn, magistralement déclamé. Et ce n’est pas fini, car en guise d’au revoir, Karine Deshayes annonce ensuite un dernier boléro après ceux de Berlioz, Gounod et Bizet, « Les Filles de Cadix » de Delibes, et confirme de manière éclatante que cette mélodie n’est pas l’apanage des voix aiguës. S’appuyant sur sa solide expérience rossinienne – elle a repris certains des rôles écrits pour la Colbran (Armide, Elisabetta) – la chanteuse conclut cette soirée en offrant un mémorable festival de trilles et de notes piquées.
 
Laurent Bury
 

Paris, Auditorium du musée d’Orsay, mercredi 22 septembre, 20h

Photo © Aymeric Giraudel

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