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Pierre Bleuse dirige James Dillon en création mondiale à l’Ensemble intercontemporain – Cercle magique – Compte-rendu

 
Pour le concert de rentrée de l’Ensemble intercontemporain, qui marquait de manière officielle l’arrivée au poste de directeur musical du successeur de Matthias Pintscher, Pierre Bleuse (photo) a frappé un grand coup avec la création mondiale d’un ouvrage de l’Ecossais James Dillon (né en 1950) ; Polyptych : Mnemosyne ... Acts of Memory and Mourning (Actes de mémoire et de deuil) – une commande de l’EIC.
 

James Dillon © EIC
 
Comme un réseau infini d’associations
 
Mnemosyne ? Le choix du nom de la fille d’Ouranos et de Gaïa, déesse de la mémoire et du souvenir, prend toute sa signification pour l’auditeur lorsqu’il se trouve plongé dans une partition mise en chantier par James Dillon en une difficile période conjuguant la mort de sa mère et l’éclatement du conflit russo-ukrainien. « J’imagine essentiellement la mémoire comme un réseau infini d’associations, de l’ « onirique » au « logique », du « nostalgique » à l’ « utopique », des associations que j’essaie de laisser couler librement à travers les mouvements », confie le compositeur dans sa note d’intention.
 

Valéria Kafelnikov © Quentin Chevrier

 
Une lointaine mémoire ...
 
« Laisser couler librement »... Les cinq mouvements de l’ouvrage, dont la structure s’inspire des polyptyques de la Renaissance – aussi nommés « théâtres de la mémoire » nous rappelle opportunément Dillon – forment un grand continuum de 75 minutes qui happe l’oreille, la charme plutôt – au sens le plus puissant du mot – par la prégnance poétique du langage aussi bien que sa puissance visuelle. 
Solitaire, la belle harpe de Valeria Kafelnikov ouvre le premier volet, discrètement rejointe par les percussions, et procure la sensation de plonger dans une lointaine mémoire ... Un voyage commence ; une révolution aussi pour les musiciens de l’Intercontemporain et leur chef qui, installés sur une tournette, vont effectuer une lentissime rotation à 360° sur la toute la durée de l’œuvre. Mobilité-immobile, immobilité-mobile : comme on voudra ; formidable idée en tout cas ! Les projecteurs braqués sur ce cercle ajoutent à la captivante étrangeté du résultat.
 

© Quentin Chevrier
 
Peinture magique
 
Avec une constante signifiance du timbre, Dillon exploite la vaste palette que l’effectif, étoffé, lui offre. Point d’éclats, d’effets, dans cette musique-mémoire emplie de noirs secrets, parcourue d’abyssaux entrelacs, hantée par le chant de lovecraftiens oiseaux de nuit, de souvenirs de processions, de rituels en des lieux disparus – rêvés ? « Peinture vivante », « magique » dirait Segalen ... L’instrumentarium est exploité à plein –  avec de beaux cadeaux faits à certains instruments, telle cette bouffée de rêve confiée à un moment au cor ... – et Pierre Bleuse sait en user, aussi précis que suggestif. Il peut il est vrai compter sur la réactivité de musiciens très impliqués et visiblement heureux de l'aventure dans laquelle ils sont embarqués.

Musique-mémoire, musique-peinture, Mnemosyne mériterait qu’un vidéaste et/ou un chorégraphe s’en emparent ... On tient en tout cas là l’une des plus belles illustrations de l’art –admirablement décanté – d’un pur alchimiste des sons.
 
Alain Cochard
 

Paris, 14 septembre 2023, Cité de la musique (salle des concerts).  

 
Photo ©

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