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Pelléas et Mélisande au Théâtre des Champs-Elysées – Dans la brume électrique – Compte-rendu

 

L’obscurité, la maladie, la famine, la menace de la mort et la recherche de l’amour sont au cœur du drame symboliste de Maeterlinck sublimé par la musique de Debussy en 1902. Le fascinant spectacle d’Éric Ruf, créé ici même il y a quatre ans (1), détaille avec minutie le conflit intérieur de personnages prisonniers, dont le désordre affectif nous est montré par une accumulation de désirs et de contradictions qu’ils tentent maladroitement d’exprimer ou de taire. Dans ce théâtre de brume, de quai désert, d’eau stagnante et de hauts murs métalliques magnifiquement éclairés par Bertrand Couderc, le couple Pelléas-Mélisande, malgré la tentation et l’attraction fatale ressentie l’un pour l’autre, est pris au piège d’un immense filet retiré de l’eau qui lentement s’égoutte, signe avant-coureur d’un désastre annoncé.
 
© Vincent Pontet 

Richement mis en lumière par une mise en scène aussi rigoureuse qu’expressive, le propos plonge le spectateur dans un univers étrange et onirique, où les mystères de l’âme se jouent à chaque instant entre tension et relâchement. Stanislas de Barbeyrac qui succède à Jean-Sébastien Bou est un admirable Pelléas, complexe dans sa psychologie, vif et élégant, touchant aussi dans sa façon d’avouer tardivement son amour à Mélisande, dans un murmure qui le désarçonne presque. Le rôle est vocalement taillé pour lui, ni trop haut, ni trop bas, idéal pour sa déclamation ferme et résolue et la singularité de son instrument. Victime d’une allergie, Patricia Petibon joue (bouche fermée !) une fois de plus admirablement bien cette évanescente créature, dont elle rend perceptible chaque linéament, tout en prenant soin de brouiller les pistes pour mieux l’extraire du monde sans avoir rien révélé. Malgré ses huit mois de grossesse, Vannina Santoni prête sa voix délicate et son interprétation sensible à Mélisande, alias la rousse Patricia, un exercice périlleux qu’elle réussit, même si l’effet de dématérialisation vocale n’est pas toujours facile à supporter de la salle.
 

© Vincent Pontet

Après avoir été l’un de plus brillants Pelléas de son temps (on se souvient encore de sa performance auprès de Mireille Delunsch à la Bastille en 2004 dans la production de Bob Wilson), voilà que Simon Keenlyside endosse les habits de Golaud. Le baryton se préparait à cette reconversion, réalisée la première fois à Vienne en 2017, et le résultat est, sans surprise, extraordinaire. L’acteur est tout d’abord saisissant de vérité, de naturel et d’imagination théâtrale, maniant le trouble et l’incertitude, la violence et la fragilité comme peu avant lui, sa diction parfaite, sa voix toujours aussi merveilleusement timbrée qu’il ne cesse de colorer et de triturer jusqu’à l’usage d’un quasi parlando, en faisant un Golaud inoubliable, qui n’est pas loin de surpasser Van Dam et Le Roux pourtant très haut dans notre panthéon. A ce concert d’éloges nous n’oublierons pas d’associer Jean Teitgen, Arkel impressionnant d’allure et de présence vocale, Lucile Richardot magnifique Geneviève et Chloé Briot le meilleur Yniold du moment.
 

© Marc Allen

Si Louis Langrée nous avait impressionné en 2017 par la densité de sa lecture, celle de François-Xavier Roth nous a également convaincue. Travaillés à la pointe sèche, les instruments anciens des Siècles offrent un commentaire subtilement apparié au drame raconté au plateau. En étirant dans un premier temps le tempo, Roth rend l’atmosphère plus pesante, la variété des couleurs et la diversité des accents illustrant pleinement la « rosée de plomb et ses ténèbres épaisses comme une pate empoissonnée ». Une reprise étincelante.
 
François Lesueur

(1) www.concertclassic.com/article/pelleas-et-melisande-au-theatre-des-champs-elysees-quai-des-brumes-compte-rendu
 
Debussy : Pelléas et Mélisande -Théâtre des Champs-Elysées 9 octobre ; prochaines représentations 11, 13 & 15 octobre. 2021 / www.theatrechampselysees.fr
 
Photo © Vincent Pontet

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