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Paris - Compte-rendu - Sur les traces d’Orphée


Dans la genèse du stile nuovo, vecteur de la modernité en musique, la lumière est venue d’Italie avec les avancées de la Camerata florentine qui, à la jointure des XVIe et XVIIe siècles, découvre le pouvoir dramatique de la monodie accompagnée, rendant du même coup obsolètes les savantes architectures de la polyphonie traditionnelle.

D’où cette idée rare et stimulante d’un concert réunissant quelques acteurs majeurs de la révolution mélodramatique. Un projet confié au jeune groupe belge Il Trionfo del Tempo que dirige le ténor Jan Van Elsacker, déjà remarqué avec l’ensemble Akadêmia de Françoise Lasserre, entre autres.

Avant tout attentif à un chant en phase directe avec la parole, comme le voulaient les chefs de file de la Camerata (Peri, Caccini) et leurs continuateurs immédiats (Landi, D’India, Luigi Rossi), Van Elsacker s’en tient à un sobre soutien instrumental (violon, flûte, clavecin), mais en exclut bizarrement le luth ou théorbe, pourtant étroitement lié à l’histoire de la déclamation lyrique (le canto al liuto qui, sur les traces supposées d’Orphée, scellait l’union du chanteur et de l’instrument dès la fin du XVème siècle). Quant à la voix en soi, elle est assurément attachante, avec une belle égalité d’émission dans tous les registres et un souci textuel malheureusement compromis par des rapports à la langue italienne (prosodie, accent), disons perfectibles. Un handicap qui pousse parfois le soliste au maniérisme, hors du sens et de la couleur naturelle des mots.

Reste – ce qui n’est pas rien – la curiosité musicologique de Van Elsacker revisitant pour notre bonheur le très riche atelier monodique de cette première moitié de Seicento à travers un bouquet de miniatures tout ensemble ferventes, dolentes, captivantes. Du O che felice ! de Francesco Rasi, qui fut l’un des plus célèbres ténors de l’époque et le créateur du rôle-titre lors des premières représentations de l’Orfeo de Monteverdi à Mantoue en 1607, au vrillant Lamento d’Orphée du Palermitain Sigismondo D’India, compositeur subtil et poète inspiré qui mit volontiers ses textes en musique, le choix se révélait éloquent en l’église des Billettes ; reflet d’une effervescence humaniste que nous avons peine à imaginer aujourd’hui, mais où l’avenir de la musique occidentale se jouait alors pour plusieurs siècles, au gré d’un geste créateur mariant l’expressivité (et la fulgurance) du recitativo (imitar col canto chi parla) à un don mélodique prophétique. Et on n’oubliera pas la juste virtuosité du soutien instrumental, dominé par le clavecin de Bart Rodyns qui se jouait des pièges harmoniques du fascinant Recercar cromatico per il Credo de Frescobaldi, autre nom incontournable du programme.

Roger Tellart

Paris, Eglise des Billettes, 16 janvier 2009

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Photo : DR

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