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Paris - Compte-rendu : Réverbère et canapé. Un Couronnement de Poppée sans faste

Il faut passer outre, et c’est vraiment difficile, la laideur des décors et des costumes de cette production venue de Cardiff puis de Munich, avec ses éclairages à la truelle et sa palette de couleurs criardes. On en vient au bout de cinq minutes à regretter le raffinement high-tech de la mise en scène de McVicar donnée à l’automne dernier au Théâtre des Champs-Elysées. Ce réverbère, ce canapé convertible, ces élèves de Sénèque déguisés en clone de Tintin sont pitoyablement misérabilistes, et quel hiatus avec le cadre de Garnier !

Oui, il faut passer outre pour apprécier la direction d’acteur efficace et subtile à la fois de David Alden, qui campe de vrais personnages, et il sont nombreux dans le Couronnement. Retrouver notre Atys, Guy de Mey, en Lucain, évoquait bien des souvenirs, Dominique Visse, inaltérable Nutrice et Arnalta emportait à chacune de ses apparitions la salle vers des larmes de rire et quelle santé vocale ! Tous les seconds rôles excellaient, Topi Lehtipuu, sobre messager de la mort et centurion binoclard, Barry Banks, gratifiant son Valleto d’un contre-ut décoiffant (mais quelle idée saugrenue de confier cet emploi à un ténor !), Antonio Abete, égaré en Sénèque au TCE, retrouvait ses quatre rôles habituels, affublé pour Mercure d’un costume ridicule, l’Amour de Valérie Gabail confirme que la jeune soprano est un vrai talent à suivre, elle était déjà un séduisante Drusilla dans le spectacle dirigé par Marc Minkowski à Aix.

Drusilla justement revenait à Miah Persson, vocalement immaculée et dramatiquement si juste, tout comme son incarnation de La Vertu au prologue. Christophe Dumaux campait un Ottone attachant, dont le personnage évoluait avec une vérité psychologique remarquable, de l’élégie à la terreur, si la voix manque de caractère, le chant et la phonation sont exemplaires. Hors de son répertoire d’élection, Monica Bacelli n’a convaincu qu’à moitié, mais son Addio Roma, entre murmure et fureur, si il laissa la salle de marbre, nous a séduit. Jacek Laszczkowski possède-t-il la voix de Néron ? Non. Quitte à y distribuer un ténor, mieux vaut chercher dans les lyriques mozartiens dont le modèle absolu demeure Eric Tappy. La quinte aigu du polonais impressionne, d’autant qu’il ne recourt jamais au falsetto, mais face à la Poppée charnelle, au timbre opulent de Anna Caterina Antonacci, il paraissait simplement ridicule.

Antonnacci demeure un phénomène vocal unique, ce grand Falcon dont le timbre en lui-même ne possède que peu de séduction, est doublé d’une comédienne consommée. Hier Néron au TCE, elle retrouvait la sensualité conquérante de Poppée avec un naturel confondant. Durant la cinquième scène de l’acte III, son timbre se défit soudain, laissant voir la trame d’une instrument plus fragile qu’il n’y parait. Elle doit aborder la Médée chérubinienne dans quelque mois, et on peut légitimement s’inquiéter après ce moment de fatigue vocale flagrant.

Dans la fosse de Garnier, remontée au maximum, les solistes du Freiburger Barockorchester furent durant toute la représentation avares de couleurs, Bolton dirigeant sans verve une matière sonore gris trottoir. La salle fit une ovation justifiée à l’une des plus grandes basses de notre temps, communément méprisée par la critique française, Robert Lloyd. Son Sénèque sobre, modèle de stoïcisme, dominait d’une bonne tête une distribution remarquable par bien des aspects.

Jean-Charles Hoffelé

Le Couronnement de Poppée, Palais Garnier, le 30 janvier, puis les 2, 6, 8, 11, 14, 17, 20 et 22 février 2005.

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Photo: Eric Mahoudeau/Opéra de Paris
 

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