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Paris - Compte-rendu : D’un cahier d’esquisses, Tabachnik dirige l'Acte préalable de Scriabine


De son projet d’Acte préalable Alexandre Scriabine n’a laissé à son décès en 1915 qu’une cinquantaine de pages d’esquisses assez désordonnées. Un matériau plutôt maigre au regard de la démesure du projet. Il ne renseigne guère sur son architecture générale et rend toute tentative de restitution sujette à caution. Alexandre Nemtine (1936-1999) s’est toutefois lancé dans cette entreprise risquée, élaborant entre 1971 et 1996 un ouvrage en trois parties d’une durée de près de trois heures dont Michel Tabachnik (photo) – de retour à Paris après une longue absence –, le pianiste Hakon Austbo, la soprano Susan Narucki et les Noord Nederlands Orkest et Concertkoor ont donné la création française. Univers, Humanité, Transfiguration : les trois volets de la vaste partition se divisent en sections enchaînées aux libellés très scriabiniens (« Lent, impérieux », « Douloureux, déchirant », « Religioso –mystérieusement – fermamente luminoso », etc.).

Acte préalable « reconstitué » ? Sûrement pas. Parlons plutôt d’un hommage de Nemtine à son génial devancier à partir de thèmes et de suggestions harmoniques de ce dernier. Le compositeur s’est à l’évidence bien imprégné de l’univers sonore du dernier Scriabine, mais il n’a pu s’empêcher d’être également nourri de toute la musique du XXe siècle – sans parler du précédent – et bien des influences pointent le bout du nez, accommodées à la sauce Scriabine… On ne citera que la Bacchanale de Daphnis à laquelle on ne peut s’empêcher de songer à la fin de la seconde partie – très applaudie d’un public qui, il est vrai, s’est nettement clairsemé après le second entracte…
Brillant orchestrateur, Nemtine signe un ouvrage qui comporte de séduisants épisodes, de laborieux tunnels aussi… Passer de quelques esquisses à une aussi immense partition n’a pu se faire sans délayage. La transe tend à se faire redondante, l’extase pesante – d’autant que l’orchestration souligne à l’envi les limites de l’acoustique excessivement frontale de Pleyel.
Et que n’a-t-on tenté une « mise en lumière » du concert. Les vœux de Scriabine en cette matière seraient facilement réalisables avec les moyens techniques modernes.

En tout cas, c’est au travail de Nemtine que s’adressent les reproches d’ordre musical, en rien à l’interprétation de Michel Tabachnik. Le chef s’engage en effet avec passion dans l’entreprise et souligne continûment le fourmillement de l’écriture, bien aidé par les qualités individuelles des membres de la belle formation néerlandaise. Je demeure plus réservé au sujet d’Hakon Austbo, sans doute à son aise dans la partie de piano, mais en manque de couleurs et de mordant, surtout lorsque l’instrument s’extrait de la masse orchestrale.
Belle prestations de Susan Narucki et du Noord Nederlands Concertkoor, bien préparé par Louis Buskens et Leendert Runia.

Si la découverte de l’ouvrage en valait la chandelle, en dépit des réserves formulées, les férus de la musique de Scriabine ne peuvent que nourrir un regret à propos du cycle « Visions wagnériennes ». Il ne tient pas à la partition de Nemtine, ni à la valeur des interprètes, mais à une occasion manquée. Quel dommage en effet que, des forces orchestrales et chorales de ce niveau ayant étant rassemblées, les programmateurs n’en aient pas profité pour donner ce qui aurait constitué, sauf erreur, une première à Paris : un programme composé de la Symphonie n°3, du Poème de l’extase et de Prométhée – un vrai festin pour un chef tel que Tabachnik ! Et tant qu’à fêter le compositeur russe, on aurait pu demander à un pianiste d’interpréter le Sonates pour piano nos 7 à 10 et Vers la Flamme pendant l’après-midi, en prélude à la soirée. Après tout, pourquoi chercher, en vain, dans des « reconstitutions » ce qui est présent dans des opus achevés et géniaux ?

Pour l’anniversaire Scriabine de 2015 peut-être…

Alain Cochard

Salle Pleyel, vendredi 9 novembre 2007.

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Photo : DR

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