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Musique et cinéma - « Kinshasa Symphony »Une interview de Claus Wischmann, réalisateur

Connaissez-vous l’Orchestre Symphonique Kimbanguiste et son chef Armand Diangienda ? Pas encore ? Cela ne devrait pas tarder. Sorti le 14 septembre dernier dans les salles de cinéma, le documentaire Kinshasa Symphony de Claus Wischmann et Martin Baer dresse un portrait sensible et réaliste de cet ensemble étonnant, unique formation musicale au sein de la République Démocratique du Congo. Pour en savoir plus, nous avons interrogé Claus Wischmann, déjà réalisateur de nombreux documentaires sur Edita Gruberova, Vivica Genaux ou encore Max Lorenz. Il nous en dit plus sur la conception de son documentaire et sur cet orchestre improbable avant tout guidé par la musique et la passion.

Comment est né votre documentaire « Kinshasa Symphony » ?

Claus WISCHMANN : Une amie berlinoise m’a parlé de cet orchestre incroyable. Musicien moi-même, j’ai tout de suite été intrigué par ce sujet avec l’envie de partir pour la République Démocratique du Congo. À partir de cet instant, il nous a fallu trois ans avec mon coréalisateur Martin Baer pour arriver au résultat final. Nous avons tout d’abord pris contact avec Armand Diangienda, le chef de l’Orchestre Symphonique Kimbanguiste, et nous avons cherché des financements. Seul souci, personne ne voulait financer ce projet… Nous avons donc décidé de partir sans un sou vers Kinshasa pour commencer notre tournage. Revenu en Allemagne, nous avons fait un petit montage et le film a pu se faire.

Ce documentaire était-il destiné dès le début au cinéma ?

CW : J’ai réalisé de nombreux documentaires pour la télévision sur l’opéra et la musique classique, mais je savais que pour raconter cette histoire, le format cinématographique était indispensable. Puis, le film a pris de plus en plus d’ampleur. Cependant, je me suis vite aperçu de ma naïveté. Je ne me suis pas rendu compte à quel point la post-production allait être longue et fastidieuse.

Pouvez-vous nous donner un exemple ?

CW : Dans le film, quelques musiciens se mettent à jouer seuls de leurs instruments au milieu des rues sales et bruyantes de Kinshasa. L’objectif était de capter le son de l’instrument et de gommer les bruits parasites. Il nous fallait au moins un jour de tournage rien que pour cela. Après des semaines de discussion, notre preneur de son (Pascal Capitolin) est venu avec l’idée ingénieuse de placer un microphone dans chacun des instruments. Ce fut à la fois un moyen visuel et sonore afin de véritablement capter l’atmosphère de cette mégalopole.

  Quelle fut la plus grande difficulté lors de la post-production sonore ?

CW : Le cinéma offre des moyens beaucoup plus développés que la télévision pour le mixage sonore. J’aurai d’ailleurs peut-être eu besoin d’un mois supplémentaire, mais le film devait être prêt pour le Festival de Berlin…

L’orchestre répète dans un lieu clos, mais aussi en plein air et dans la rue…

CW : Avec la Salle des fêtes, ce sont les deux endroits où ils répètent. Le gros problème provient des pannes de courant qui arrivent à n’importe quel moment dans la soirée. Heureusement pour eux, un des violonistes de l’orchestre, Joseph, en un vrai entrepreneur à la fois musicien, électricien et coiffeur ! L’idée de suivre certains musiciens comme lui est d’ailleurs venue en cours de tournage. Il nous a fallu du temps avant de savoir qui choisir, car l’Orchestre Symphonique Kimbanguiste compte plus de 200 musiciens. Au total, nous sommes restés entre 8 et 9 semaines sur place avec seulement 2 caméras.

Le musicien Albert Matubanza construit lui-même des contrebasses pour l’ensemble.

CW : Le vol d’instruments est très courant dans cette ville et Albert est venu avec l’idée d’effectivement devenir luthier pour l’ensemble. Le plus impressionnant est qu’il construit lui-même ses propres outils !

L’orchestre est-il réputé à travers la ville et le pays ?

CW : Au vu du nombre de passants qui s’arrêtent interloqués lorsque l’orchestre joue, non. (Rires). La plupart des habitants ne sont pas du tout habitués à entendre de la musique classique. Ce n’était pas un genre populaire bien que les choses évoluent depuis la réalisation de ce film. Le concert final que nous avons filmé était par exemple leur première représentation en extérieur avec environ 3000 personnes présentes. Depuis, de nombreux musiciens ont souhaité rejoindre l’orchestre.

Pourquoi l’orchestre a-t-il choisi de jouer Carmina Burana de Carl Orff et la 9e Symphonie de Beethoven ?

CW : Carmina Burana est leur œuvre préférée qu’ils connaissent pratiquement par cœur. En concert, ils l’ont même interprétée deux fois de suite ! Concernant la 9e Symphonie de Beethoven, le dernier mouvement Presto n’est pas le plus facile à interpréter et dure plus de vingt minutes. Vous imaginez que pour un public qui n’a presque jamais entendu de musique classique, cela peut être un vrai choc !

La langue allemande posait-elle un problème pour eux ?

CW : Pas seulement pour eux, mais pour nous aussi. Nous souhaitions faire le documentaire tout d’abord en français, mais ils parlent davantage le lingala, langue officielle. D’où ce mélange des deux langues.

L’orchestre se déplace-t-il à l’étranger ?

CW : Il est très difficile pour eux de voyager à cause des problèmes de visa, du moins en Allemagne. Nous voulions les inviter à la première mondiale au Festival de Berlin, mais seuls le chef d’orchestre et Albert ont pu se déplacer. De plus, ils n’ont pas l’argent nécessaire pour voyager. Ils jouent donc à Kinshasa, à Brazzaville et souhaite jouer dans le sud du pays.

Les conditions de travail sont particulièrement précaires. D’où vient leur énergie pour arriver à un tel résultat ?

CW : Je ne le sais pas moi-même ! C’est une question de survie et ils doivent en payer le prix, car beaucoup de nouveaux musiciens doivent quitter l’orchestre à cause de problème financier, de santé et de temps. D’autant plus que les répétitions sont quotidiennes et durent en moyenne trois heures.

Il s’agit donc, comme vous l’affirmez, d’une question de survie ?

CW : C’est une façon de survivre après les années terribles Mobutu. C’est une façon de dire : « Je suis toujours là, et plus que jamais présent ». Kinshasa est une ville très pauvre. Ils ont des problèmes d’électriciens permanents, ils n’ont pas de système de ramassage d’ordure et la vie coûte très cher paradoxalement. Les gens gagnent très peu et arrivent à survivre en multipliant les petits emplois.

Vous avez réalisé de nombreux documentaires sur le monde de la musique classique. Ce projet vous a-t-il fait prendre du recul sur cet univers ?

CW : Je vis en Allemagne où le monde de la musique classique est très institutionnalisé. Les subventions sont facilement allouées, les musiciens sont bien payés. Et puis tout est très bureaucratisé. En République Démocratique du Congo, il n’y a pas d’argent pour la culture et ils jouent avant tout pour eux. C’est un mode de fonctionnement totalement opposé. Les Allemands ont d’ailleurs réagi au film de façon assez forte. Ils ont été impressionnés par les conditions de vie si précaires et difficiles. En Europe, on se plaint beaucoup pour des problèmes qui n’ont pas forcément lieu d’être. Armand, le chef d’orchestre, rêve aujourd’hui de monter une école de musique pour enfants, mais recherche encore des fonds financiers.

Le gouvernement n’alloue pas de budget pour cela ?

CW : Rien, pas un centime. Le budget éducatif n’existe presque pas. Si vous voulez mettre votre enfant à l’école, même dans la plus mauvaise institution, vous devez payer de votre poche. L’organisation administrative est très défaillante.

Durant le tournage, avez-vous connu des moments difficiles ?

CW : Ce ne fut pas un exercice facile. La population détestait qu’on les filme dans la rue. Quand nous le faisions, on vous insultait et on nous reprochait de faire de l’argent derrière leur dos... On négociait donc constamment avec eux. Mais on en profitait pour leur présenter l’orchestre. Cela pouvait s’avérer dangereux par moment. On ne nous a pas agressés ou volés, mais il y a eu des situations difficiles. A un moment, cent cinquante personnes nous ont entourés et nous ont demandé d’arrêter de filmer. On a dû se réfugier pendant plusieurs heures avec la sécurité jusqu’à ce que cela se calme. Heureusement, nous avions des autorisations officielles pour tourner.

La réalisation de ce documentaire a-t-il permis à cet orchestre d’être davantage connu ?

CW : Le film a eu de très bonnes répercussions en Allemagne, car plusieurs organismes et musiciens allemands ont fait le déplacement à Kinshasa pour offrir des cours de musique. Nous avons organisé les premières rencontres. La machine est maintenant lancée ! Je n’imaginais pas que cela allait prendre autant d’importance. Aux États-Unis, plusieurs États souhaitent inviter l’orchestre chez eux ! L’émission 60 minutes veut même faire à leur tour un reportage. Sur le site web de l’orchestre, il est par ailleurs possible de faire des dons. Ils ont déjà réussi à récolter environ 10 000 euros, ce qui a permis d’acheter plus de 100 instruments envoyés d’Allemagne. (http://www.oskimbangu.org/)

Que retenez-vous de cette expérience ?

CW : (Il réfléchit…). C’est très difficile à dire. Ce n’est pas la première fois que je voyage. J’ai fait des documentaires en Inde, en Russie, mais ce fut une expérience unique en son genre et certainement la plus forte.

Et quel est le plus grand souvenir que vous garderez de ce voyage ?

CW : (Il réfléchit de nouveau…). La musique. Elle me reste en mémoire et rejaillit de temps en temps. Il n’y a rien de plus émouvant, je vous assure.

Propos recueillis et traduit de l’anglais le 20 septembre 2011 par Edouard Brane

Lien Bande Annonce :

Kinshasa Symphony Bande-annonce par toutlecine

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Photo : DR
 

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