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Musique et cinéma Black Swan de Darren Aronofsky - Poids plume, poids plomb

C’est l’histoire d’une névrose qui mène à l’autodestruction. Dommage que le film soit traité sur le mode Grand Guignol, avec des outrances qui sont lourdement appuyées et lui enlèvent de sa puissance émotionnelle. Dommage que la colophane crie si fort sous le pied, que les yeux soient si exorbités, que le sang soit si rouge, que le chorégraphe soit si cruel et cynique, bref que tout baigne dans l’excès au point que cela frise le ridicule. Lorsqu’à la fin, on découvre ce que l’on avait déjà compris,- et c’est là le grand péché du film - à savoir que l’héroïne invente tout ce qui lui arrive de tragique, alors que la vie l’a plutôt gâtée, c’est trop tard, pour elle, qui meurt, et pour nous, qui nous sommes lassés.

Reste que le film offre des moments de grande beauté, grâce à Natalie Portman, qui a bien travaillé son retour à la barre, car elle dansa, enfant ! Elle est magnifique, et parfaitement plausible dès que la caméra ne la montre qu’à partir du buste, avec des bras qui se déploient souverainement, un port de tête à la fois effrayé et altier. Pour le reste, elle est bien évidemment doublée dès qu’il s’agit de la faire pirouetter ou sauter, et c’est heureux car son joli corps ne porte pas la marque indélébile de la cruelle formation classique. Cygne elle est, certes, mais ses pieds n’ont pas la démarche de canard à laquelle toute ballerine classique est contrainte.

L’on regrette d’autant plus les maladresses du film qu’il traite finalement de problèmes très présents dans le milieu de la danse, tout comme celui du sport d’ailleurs, ou de la musique. Caricaturés certes, mais vrais, l’omniprésence de la mère qui fait porter à sa fille ses ratages et ses ambitions avortées, vraie la dureté du chorégraphe seulement préoccupé de rendre vivante sa création, fût-ce en détruisant son interprète, ce dont il n’a pas forcément conscience. Vraie, l’angoisse devant le rôle majeur avant lequel et après lequel on ne sera plus rien. Vraie l’absence d’enfance de ces petits êtres projetés dans la compétition et le souci de la perfection qui les motive beaucoup trop tôt.

Heureusement aujourd’hui les écoles s’emploient à rationaliser leur enseignement, à y introduire plus d’humanité : mais le choc de la scène, de l’interprétation et de la création seront toujours ainsi, porteurs de grands troubles. On se souvient de Noureev lançant des thermos dans les jambes des danseurs, d’un Béjart sans pitié pour les failles de ses danseurs malades, malgré toute son humanité, d’un Filippo Taglioni torturant sa fille pour en faire un être immatériel capable d’immortaliser ses fantasmes, et même d’un Schumann se détruisant la main. Et quelques films de danse restés célèbres jouent souvent sur des cordes sombres, ainsi les Chaussons Rouges, ou La Mort du Cygne en 1938, où le petit rat incarné par Janine Charrat ouvre une trappe pour briser la nouvelle venue et permettre à sa déesse de garder son rôle.

Bref, la violence est là, sous la grâce des Cygnes et des Sylphides. On ne peut hélas y échapper. Dommage, une nouvelle fois, que le cinéaste ne l’ait pas infusée plus subtilement dans son Black Swan. Mais la visite, sinon le voyage, valent d’être tentés, pour la belle Natalie et sa performance, pour Vincent Cassel, aigu et inquiétant comme à son ordinaire, pour la trop brève apparition d’une autre divine, Wynona Ryder, parfaite en ballerine de quarante ans évincée, et enfin pour les trop brèves apparitions du joli Benjamin Millepied, faire valoir de Natalie Portman et son beau prince, à la ville comme à l’écran.

Jacqueline Thuilleux

Black Swan, un film de Darren Aronofsky

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Photo : DR
 

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