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Musique en dialogue aux Carmélites avec Les Passions – Le Voyage à Lübeck passe par Toulouse… - Compte-rendu

Après vingt-et-un concerts champêtres en cinq saisons à l’Orangerie de Rochemontès, lumineux édifice du XVIIIe siècle, Catherine Kauffmann-Saint-Martin, avec le soutien de la Mairie de Toulouse, a pris en charge l’organisation et la programmation d’une nouvelle série de rendez-vous estivaux dans un lieu parmi les plus secrètement enchanteurs de la Ville rose, à mi-chemin entre Capitole et Saint-Sernin : la chapelle des Carmélites, petite Sixtine toulousaine du XVIIe entièrement décorée de peintures (1). En clôture de cette seconde saison de Musique en Dialogue aux Carmélites, au point de jonction entre musique et parole, l’ensemble Les Passions de Jean-Marc Andrieu (photo) offrait une évocation du voyage initiatique de Bach auprès de Buxtehude en 1705, d’après La rencontre de Lübeck (2) de Gilles Cantagrel, qui en était ici tout naturellement le narrateur, avec comme à son habitude un tonique mélange d’érudition et de faculté intuitive à communiquer avec l’auditoire, spontanément mis en confiance par un portrait sobrement brossé du temps et des œuvres le préparant au vertige de la musique. Ce concert-lecture était proposé en partenariat avec le Goethe Institut de Toulouse dans le cadre de la Quinzaine franco-allemande en Occitanie (3).
 

Gilles Cantagrel (à dr.) © Jean-Jacques Ader

S’en tenant à l’époque du voyage, donc aux premières œuvres du futur Cantor encore sous le choc de sa confrontation avec l’art de Buxtehude, le programme, dans une chapelle comble, fit entendre deux œuvres du jeune Bach encadrant trois Cantates du maître de Lübeck. Sobre mais virtuose effectif, pour une sonorité majestueusement épanouie dans une acoustique boisée favorisant une dynamique franche des timbres, avec pour commencer une joyeuse cantate nuptiale : Der Herr denket an uns BWV 196 (1708). Deux violons : Gilone Gaubet-Jacques et Nirina Betoto, deux altos : Solenne Burgelin et Jennifer Lutter, violoncelle : Étienne Mangot (admirable soutien des récitatifs & airs) et orgue : Yasuko Uyama-Bouvard touchait un positif signé Étienne Fouss (2008) doté d’un dessus de principal de 8 pieds faisant toute la différence. “Plus jamais, dans la mesure du possible, un positif avec seulement des jeux doux”, confiait Jean-Marc Andrieu à l’issue du concert, tant les attaques principalisantes de l’instrument rehaussaient, au bénéfice de tous, la présence et l’intelligibilité du jeu de la musicienne, remarquable continuiste, on le sait, beaucoup trop rare cependant en soliste, à l’orgue ou au pianoforte. Aux instruments répondaient quatre voix, solistes dès cette première œuvre aussi juvénile d’esprit que d’une confondante maîtrise, tout en jouant le rôle du chœur, à une voix par partie.

© Jean-Jacques Ader
 
La question qui d’emblée se pose dans une telle et double configuration est celle de l’équilibre. Anne Magouët (soprano), Pascal Bertin (alto), Sébastien Obrecht (ténor) et Stephan Imboden (basse) y répondirent donc doublement, et en beauté. Si la présence parfois dominante de la partie de soprano, voire de ténor, se fit indéniablement sentir dans les solos, bien que toujours à l’instigation de l’écriture, l’harmonie du « chœur » se révéla absolument radieuse tant pour Bach que dans les Cantates chorales de Buxtehude – BuxWV 40 (œuvre en suédois ici interprétée dans sa version allemande), 62 et 103 : l’équilibre au sens le plus sensible et complémentaire, chaque voix, distinctement perceptible et appréciable pour ses qualités propres, se fondant dans une projection d’ensemble souple et homogène.
 
Le point culminant fut la Cantate BWV 4 Christ lag in Todesbanden (1707-1708 ?), pur chef-d’œuvre, avec une première section vocale (Versus I) ébouriffante de grandeur, le choral se trouvant proclamé tel un hiératique et sonore cantus firmus sur trompette ou cornet par la soprano, celle-ci se glissant ensuite avec grâce dans le très sophistiqué concertato des autres voix. Le reste de la Cantate fut non moins festif, jusqu’au bis que l’on espérait : le Versus I dans toute sa splendeur. Si l’idée du Voyage à Lübeck dicte l’époque des œuvres susceptibles de s’insérer dans un tel programme, celle plus générale de l’alliance de la musique et de son commentaire peut être envisagée pour l’ensemble de l’œuvre de Bach – ou de Buxtehude : Jean-Marc Andrieu songe au cycle Membra Jesu Nostri, peut-être lors de la troisième saison de Musique en Dialogue aux Carmélites ? Rien n’a encore filtré de la programmation 2019, sinon l’intrigante présence de Pierre Richard, dans un contexte que l’on a hâte de découvrir…
 
Michel Roubinet

Toulouse, chapelle des Carmélites, 23 septembre 2018
 
 
(1) www.toulouse-tourisme.com/chapelle-des-carmelites/toulouse/pcumid031fs00094
 
(2) Desclée De Brouwer 2003, réédition illustrée 2015
www.editionsddb.fr/evenement/la-rencontre-de-lubeck-gilles-cantagrel-a-toulouse-concert-et-dedicace
 
(3) www.goethe.de/ins/fr/fr/sta/tou.html
     www.15francoallemandeoccitanie.fr
 
 
Site Internet
 
Musique en dialogue aux Carmélites
musiquendialogue.org

Photo © Jean-Jacques Ader

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