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Montpellier - Compte-rendu : Salomé de Richard Strauss et de Antoine Mariotte

Jamais à cours d’idée, l’Opéra de Montpellier vient de proposer au public la confrontation de deux Salomé, tirées de la pièce éponyme d’Oscar Wilde : celle de Richard Strauss composée en 1905 et celle d’Antoine Mariotte créée trois ans plus tard à Lyon, donnée en version de concert au Festival de Radio France en juillet 2004.

Ce projet conçu comme un concept par Carlos Wagner, s’est révélé à plus d’un titre passionnant. Si l’on ne présente plus l’œuvre–manifeste de Strauss dont l’écriture explosive, l’orchestration luxuriante et les sortilèges mélodiques ont ouvert la voie de la modernité, l’orientalisme alla française de Mariotte, ancien officier de marine, comme Jean Cras (auteur d’un Polyphème ressuscité en 2003 et publié chez Timpani), élève de Vincent D’Indy, n’a pas démérité.

Pour mettre en lumière les similitudes entre ces deux ouvrages aux esthétiques opposées, le metteur en scène représente le drame dans un décor unique, composé d’un escalier monumental et d’une tour–citerne dans laquelle loge le Prophète Iokanaan. Aux costumes excentriques rouges, blancs et ors, répondent le noir et l’argent chez Mariotte. Des bouchers-bourreaux, des créatures à demi–humaines et quelques accessoires suffisant à créer un univers vide et oppressant, artistement mis en lumière par Peter van Praet.

Femme-enfant, coléreuse et perverse, la soprano Manuela Uhl, malgré une présence scénique un peu gauche, a su trouver en elle les ressources vocales nécessaires pour venir à bout de ce rôle éprouvant. Sa voix tranchante, à l’aigu solide, projetée avec clarté, parvenant à passer l’orchestre et à remplir sans difficulté apparente l’immense Corum. Répondent à sa folie destructrice un robuste Iokanaan campé avec foi par James Rutherford, un bel Hérode simiesque, négocié avec habilité par le ténor Gerhard Siegel, accompagné dans ses excès par Julia Juon, certes sous-employée en Hérodias, mais pleinement maîtresse de ses moyens. Etonnant Narraboth de Marcel Reijans assassiné ici par le Page un peu sourd de Delphine Galou.

Dépassé par le langage barbare du compositeur, Friedemann Layer à la tête de l’Orchestre National de Montpellier, propose une direction confuse à l’expression douteuse, privée de couleur et au souffle court. Beaucoup plus inspiré par l’univers de Mariotte, dont il maîtrise le discours plus académique, illustration parfaite de l’Ecole française héritée de D’Indy, et où la rigueur architecturale prime sur l’originalité mélodique, le chef a dissipé nos craintes ; d’autant qu’il dispose d’un orchestre moins volumineux, dont la texture n’est pas sans évoquer Dukas, Roussel et le premier Ravel et d’un plateau de tout premier ordre.

La jeune et talentueuse mezzo-soprano Kate Aldrich est à l’évidence une révélation. Français irréprochable, chant posé sur le souffle, timbre ambré, aisance théâtrale, elle possède toutes les qualités d’une grande interprète. Contrairement à sa jumelle qui sombre dans l’hystérie, cette Princesse de Judée-là accomplit sa destinée morbide dans la sérénité, baisant les lèvres de Iokanaan soutenue par quelques cordes et par de somptueux chœurs à bouches fermées, ce qui au petit jeu des différences avec Strauss, constitue la plus troublante. Jean-Luc Chaignaud impose sans peine un véhément prophète, toujours stylisé, Julia Juon, hérite d’un personnage sacrifié (Hérodias), tandis qu’Hérode, baryton et non plus ténor, est défendu avec conviction par Scott Wilde, comme le Page et le Narraboth du duo Galou/Reijans. Un diptyque qui fera date et qui réhabilite enfin, un musicien français oublié.

François Lesueur

Montpellier, Opéra Berlioz - Le Corum, les 3 et 4 décembre 2005

Photo : Marc Ginot / Opéra National de Montpellier
 

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