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« Mon ambition est de faire d’Aix un petit Salzbourg » - Une interview de Dominique Bluzet, directeur du Grand Théâtre de Provence

Directeur du Grand Théâtre de Provence et du Théâtre du Jeu de paume à Aix, ainsi que du Théâtre du Gymnase à Marseille, et par ailleurs vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie, Dominique Bluzet est un acteur central de Marseille Capitale européenne de la Culture. A l’approche du 1er Festival de Pâques aixois (du 26 mars au 7 avril), il répond à Concertclassic.

Comment avez-vous conçu l’intégration de la programmation du Grand Théâtre à Marseille-Provence 2013 ?

Dominique BLUZET : Pour répondre à cette question, il me faut rappeler que je ne dirige pas seulement le Grand Théâtre de Provence, mais trois théâtres en fait. La question était donc de savoir comment, dans la position qui est la mienne, j’envisageais Marseille Capitale européenne de la Culture.
Cet événement offrait à mon sens à ce territoire la possibilité d’écrire son histoire. Ce qui signifie que, pour chacun des trois théâtres, il fallait être non seulement porteur de projets mais également commanditaire d’un certains nombre d’entre eux.
Des commandes ont été passées à des artistes, musiciens, chorégraphes, gens de théâtre, circassiens, avec le désir, sur ces trois théâtres, de raconter une histoire exemplaire par rapport à cette Capitale européenne, parce qu’elle nous permet non seulement de démultiplier notre programmation mais aussi de prouver que sur ce territoire on peut rêver, inventer, créer et ensuite produire une œuvre artistique et être capable de l’exporter ensuite.

Si l’on considère plus spécifiquement la programmation du Grand Théâtre, qu’est-ce qui fait l’originalité de ce lieu dans le contexte de Marseille-Provence 2013 ?

D.B. : L’une des thématiques importantes pour moi était Albert Camus. Il existe des œuvres musicales écrites sur l’oeuvre de Camus, notamment Retour à Tipasa du compositeur marseillais Henri Tomasi (1901-1971).
Il y a trois ou quatre ans, en dialoguant avec Robin Renucci, l’idée de donner cette œuvre est née. Par la suite, en discutant avec Jean-Pierre le Pavec et Roland David (respectivement directeur et directeur adjoint en charge de la production à la Direction de la Musique de Radio France ndlr), nous avons pensé à une soirée Camus dans le cadre du Festival Présences - car une autre oeuvre de l’écrivain, La Peste, a également été mise en musique).
Finalement c’est tout le Festival Présences qui s’est déroulé au Grand Théâtre.

Mais je ne voulais pas que ce lieu ne nous raconte une histoire de la musique que dans le cadre de la musique « savante ». Je voulais parler de Camus, musicalement, à des gens éloignés de l’univers de la musique classique ou contemporaine, d’où cette commande à Abd Al Malik pour un spectacle qui sera créé (le 12 mars) au Grand Théâtre.
Son plateau est le plus vaste de notre territoire et je souhaitais que des artistes n’ayant jamais travaillé ici puissent s’y produire. Ça a été le cas en danse avec Abou Lagraa et ça le sera en septembre avec Aurélien Bory. Nous avons eu envie d’aller vers des artistes jeunes qui explorent des formes différentes de celles que l’on découvre habituellement au Grand Théâtre, que ce soit avec Abou Lagraa qui vient du hip-hop ou avec Aurélien Bory, un artiste de cirque emblématique. Ils ont l’un et l’autre autour de 35 ans et n’avaient jamais eu à leur disposition un outil tel que celui qui leur est offert à Aix pour répéter pendant plusieurs mois.

La cohabitation du Festival Présences, d’Abd Al Malik, d’Aurélien Bory et d’Abou Lagraa était synonyme pour nous d’une histoire qu’il était important de raconter.

La thématique de la Méditerranée rime avec partage – partage des outils, partage des savoirs. Au mois d’août prochain, autour de l’Orchestre Français des Jeunes (en résidence au GTP depuis décembre 2007, ndlr) nous avons décidé de créer une grande résidence d’été pour des orchestres de jeunes issus de la Méditerranée.
Outre des musiciens espagnols ou italiens, nous avons mis sur pied un projet pour des musiciens irakiens. Nous les aidons à créer un orchestre symphonique de jeunes ; un projet très lourd pour nous car il faut les faire venir pour un séjour de trois semaines, au terme duquel ils donneront un concert. L’idée était de montrer que la France, qui est une terre d’accueil en Méditerranée, est capable de tendre la main à des gens qui vivent dans un pays ravagé.

Venons-en au Festival de Pâques, qui démarre le 26 mars et dont le directeur artistique est Renaud Capuçon. Dans quel esprit cette nouvelle manifestation aixoise a-t-elle été lancée ; comment sa programmation a-t-elle été construite ?

D.B. : Au départ il y a une rencontre entre Michel Lucas, le patron du Crédit mutuel-CIC, qui est déjà un grand mécène de la musique puisqu’il apporte son soutien aux Victoires de la Musique entre autres, Renaud et moi.
Il était pour moi important de dire, d’un point de vue militant : je veux faire d’Aix la grande ville française de la musique, exception faite de Paris évidemment, avec laquelle dans un pays centralisé comme le nôtre nul ne peut rivaliser. Mais nous avons des marqueurs très forts à Aix, un peu comme à Salzbourg : un festival d’art lyrique de réputation mondiale, le Grand Théâtre de Provence et le Théâtre du Jeu de paume qui fédèrent entre 150 000 et 200 000 personnes chaque année. Il nous manquait ce Festival de Pâques.
Nous avons un patrimoine architectural formidable en Provence et nous avons voulu prendre le pari – qui sera long à construire - que nous sommes capables de faire venir des gens de l’extérieur sur ce territoire pour partager ces moments de musique.
Un Festival de Pâques a forcément un rapport avec le sacré et la programmation s’ouvre donc sur une passion (La Passion selon saint Jean de Bach, dirigée par Laurence Equilbey, ndlr).
Nous souhaitions aussi travailler sur différentes générations d’interprètes. Nous nous sommes répartis les rôles avec Renaud. Je souhaitais qu’il y ait une carte blanche à Renaud Capuçon ; que sa génération soit autour de lui. Il a pour sa part bénéficié quand il était jeune musicien de l’aide d’un certains nombre d’aînés. Dans cet esprit, nous proposons une série de concerts « Génération @ Aix » où de jeunes musiciens sont parrainés par des collègues plus âgés.
A côté de cela on trouve des concerts d’interprètes dont Renaud se sent proche, qu’il avait envie d’inviter, ou des concerts d’artistes qui connaissent déjà bien le Grand Théâtre et que nous avons eu envie de voir revenir, par exemple Laurence Equilbey ou Hélène Grimaud, qui est Aixoise.
Rapport au sacré, génération de Renaud Capuçon, jeune génération : autour de ces marqueurs, la programmation s’est bâtie de façon normale, entre un désir et une potentialité, entre ce que l’on souhaite réaliser et ce qu’il est possible d’accomplir.

Et vous aurez la chance de recevoir l’Orchestre de l’Opéra de Paris …

D.B. : En effet, et cela s’est joué sur la relation que Renaud entretient avec Philippe Jordan. Ce qui est formidable dans notre « triptyque », Michel Lucas, Renaud et moi, c’est que nous avons chacun la capacité de porter le projet du Festival de Pâques à un très haut niveau : Michel Lucas parce qu’il nous a donné des moyens extrêmement importants, Renaud parce qu’il est un musicien hors normes qui joue dans le monde entier et qui donne à beaucoup de gens l’envie de travailler avec lui, et nous au Grand Théâtre parce que nous avons un outil, les moyens de rendre le Festival de Pâques crédible et viable.
Tous les ingrédients étaient réunis pour que le projet se mette en place, mon ambition étant de faire d’Aix, ne soyons pas modeste, un petit Salzbourg.

Vous avez fait allusion à l’aide importante du Crédit mutuel-CIC. Sous l’effet d’entraînement de Marseille-Provence 2013, quel est le bilan sur plan du mécénat, de nouveaux acteurs sont-ils apparus ?

D.B. : Je me suis beaucoup impliqué dans cette Capitale européenne de la Culture, au point de devenir vice-président de la chambre de commerce et d’industrie en charge de ce dossier. Je n’avais pas spécialement d’appétence pour y être élu, mais je me suis laissé convaincre par l’envie de faire gagner un territoire - l’une des finalités d’une démarche artistique est d’être au service d’un territoire.
A Lille, en 2004, on a levé l’équivalent de 13 millions € avec une trentaine d’entreprises. Avec ce qu’a trouvé MP13, ce qu’a levé la ville de Marseille, on arrive à 26 millions € répartis sur 200 entreprises. On a vu s’impliquer des entreprises de niveau national telles que la Société Marseillaise de Crédit, Eurocopter, France Télécom, La Poste, etc., mais beaucoup de PME se sont aussi mobilisées, chacune à sa manière, parfois avec des mécénats de 10 000 à 15 000 €, parfois avec des sommes plus importantes.
A l’avenir, il sera important de tenir compte à Marseille de la relation qui s’est construite entre le monde de l’entreprise et le monde de la culture, car c’est une chose formidable.

Comment envisagez-vous l’après MP13 ?

D.B. : Il y aura forcément un peu de dépression après un tel engouement populaire. 450 000 personnes étaient présentes à Marseille le soir de l’inauguration, 600 000 sur le territoire de la capitale européenne ; 600 000 c’est un tiers des habitants de ce département, c’est colossal ! On ne peut pas susciter tous les jours des événements de cette nature, mais cette Capitale nous allons la réussir et il faut que la réussite devienne un marqueur de ce territoire, de cette ville, Marseille, qui a souvent l’habitude de l’échec et qui doit se dire qu’elle est capable de réussir des manifestions hors normes.
Du point de vue artistique, l’un des aspects très positifs de cette inauguration aura été la rencontre entre un travail de haut niveau sur l’art contemporain et un très grand événement populaire.
Quant au Festival de Pâques, j’y reviens pour conclure, en insistant sur le fait qu’il est l’histoire de trois personnes qui se sont réunies pour le bâtir.

Propos recueillis par Alain Cochard, le 1er février 2013

1er Festival de Pâques d’Aix-en-Provence
Du 26 mars au 7 avril 2013
www.festivalpaques.com/fr/programme-2013

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Photo : DR
 

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