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Martin Helmchen joue les Variations Diabelli (Alpha) – Le Disque de la Semaine

A 35 ans, Martin Helmchen fait un choix peu ordinaire : en guise de premier enregistrement de Beethoven en solo (1), il offre le recueil de variations les plus « hors-normes » de tout le catalogue beethovénien : « C’est la dernière grande oœuvre de piano de Beethoven, la plus vaste qu’il ait jamais composée, et, avec l’op. 106, la plus visionnaire : sa modernité, aujourd’hui encore, demeure stupéfiante ». Ces lignes écrites par André Boucourechliev il y a plus d’un demi-siècle n’ont pas pris une ride (2). Durant près d’une heure, cet enchaînement d’une succession de 33 « cristaux de l’imagination » (A.B.), placés dans un ordre maintes fois remanié par l’auteur, aujourd’hui encore déroute. Jusqu’au siècle dernier, il était rare de les entendre au concert. Mais un Brendel, un Gulda ou un Richter (live Amsterdam, 1986) ont « fendu la glace », et ce recueil ne fait désormais plus peur – au point même qu’Alpha enregistre au même moment ces Variations par Filippo Gorini  et Martin Helmchen : comment ne pas s’en féliciter  ?   
 Thème (ext.)
Reconnaissons-le tout de go : chez Helmchen, la séduction et le mystère sont au rendez-vous. Après-tout ce cahier de 33 « transformations » (Beethoven n’a pas écrit « variations »  mais Veränderungen : lit. : transformations, métamorphoses) n’est-il pas dédiées à Bettina Brentano, qui ne serait autre que l’ « Immortelle Bien-aimée » ? Ecoutez, par exemple, la variation 5 jaillir sous les doigts de Martin Helmchen. Dans une lumière tamisée (d’abord pianissimo dans le grave, pour la 2ème partie du thème à entendre ici), une pensée obsédante (un rythme unique : deux brèves/une longue) d’abord timidement formulée (la variation entière se déroule entre piano et pianissimo), finit, sous les coups de boutoir d’une bonne vingtaine d’accents de plus en plus rapprochés, par prendre possession de l’auditeur :
 
 Variation 5 (ext.)
 
Martin Helmchen © Giorgia Bertazzi

Même dans des versions « de référence » (Katchen, Brendel, Kovacevich), personne ne nous semble aussi convaincant dans cette variation à laquelle Michel Butor a donné le titre de « Vénus jaillit de l’écume »(3). En fait, Beethoven n’illustre pas la petite valse offerte par son éditeur à une cinquantaine de compositeurs : lui ne « varie » pas, il « métamorphose » telle ou telle idée – que d’autres n’ont même pas songé prendre en compte. Ainsi du silence, quasi-inaperçu, (car il n’existe, il est vrai, qu’à la main gauche)… et qui est l’unique objet de la variation 13. Cette pièce, qui fait trembler sous les doigts de Richter, fait peur sous les doigts de Laurent Cabasso ou de Helmchen. Un réserve toutefois ici —le trop long silence, dans le CD avec la variation suivante (4) : l’effet de « surprise » causé par la différence entre la formidable «singularité » de chaque variation est démultiplié si on prend le moins de temps possible pour les enchaîner…Mais ne boudons pas notre plaisir : du petit scherzo (presto) de la variation 15, Helmchen fait une pièce allègre badine et désinvolte qui nous fait percevoir que Beethoven —on l’oublie trop souvent—avait beaucoup d’humour…
 

Variation n°15
 
Cinq variations plus loin, c’est l’univers de l’Arietta de Sonate op. 111 qui nait (5). Dans les profondeurs du piano, comme si un sphinx se tenait là, immobile, à regarde quelque chose se mettre en marche, comme venu des fins fonds du désert où lui se tient depuis toujours. Cette variation 20 (pour nous le coeur du cahier) est un de celles où l’ on mesure l’écart abyssal avec la petite valse un peu simplette  qui y est quand même contenue
 
Variation n° 20 

En résumé, même s’il ne fait pas oublier ni la version que Laurent Cabasso aura enregistrée pour fêter ses 50 ans (Naïve, 2011) ni celle —insurpassable de rectitude et de finesse du détail de Stephen Kovacevich (enregistrée à 28 ans pour Philips), Martin Helmchen nous propose une très belle vision d’une œuvre dont, comme les quatuors et les sonates, il est plus que recommandé de posséder plusieurs versions pour pouvoir la faire pleinement sienne.

Enfin, notez qu’après sont passage à la Seine Musicale le mois dernier, Helmchen est bientôt l’invité de l’Orchestre des Champs Elysées et de Philippe Herrweghe, le 27 février à Saintes et le 28 à Poitiers. Romantisme au programme avec le Concerto en la mineur de Schumann, accompagné de la 3e Symphonie « Rhénane » du même.
 
Stéphane Goldet

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(1) 1 CD ALPHA 386 / Dist. Outhere
(2) En ouverture des pages si stimulantes écrites sur ces Variations dans son Beethoven (Le Seuil, Coll. Solfèges, 1963)
(3) Michel Butor : Dialogue avec 33 variations de L. Van Beethoven sur une valse de Diabelli (Gallimard, Coll. Le chemin, 1971)
(4)Mais pas au concert du 19 mars 2017 (TCE, concert du dimanche matin). Helmchen y est venu jouer ces Variations dont il venait tout juste de terminer l’enregistrement.
 (5)Impossible de déterminer avec certitude laquelle de ces deux pièces est née la première. Quoiqu’il en soit, elles sont bel et bien consanguines.
 
 
Orchestre des Champs-Elysées, dir. P. Herreweghe ; M. Helmchen (piano)
27 février 2018 – 20h30
Saintes – Abbaye aux Dames
 
28 février 2018 – 20h30
TAP – Poitiers
www.orchestredeschampselysees.com/concert/paysages-rh%C3%A9nans
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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