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Madame Sans-Gêne à Montpellier - Sans gêne mais pas sans plaisir - Compte-rendu

Pourquoi le lyricomane blasé se hâte-t-il chaque année au Festival de Montpellier ? Parce que, depuis 1985, il est assuré d'y (re)découvrir quelque compositeur englouti par l'histoire (hier, un Gnecco, un Franchetti, un Monleone) ou quelque œuvre méconnue d'un génie qui l'est moins (où, en France, aurait-on pu entendre Rienzi de Wagner avant le bicentenaire ?).

Cette année, le premier cas de figure se voit illustré par La Vivandière de Benjamin Godard, le second par un opéra proche dans le temps comme par le thème : Madame Sans-Gêne d'Umberto Giordano. Tiré, comme Tosca, d'une pièce de Victorien Sardou, cet ouvrage en trois actes sur un livret de Renato Simoni voit le jour au Met en 1915, avec, dans les principaux rôles, rien de moins que Geraldine Farrar (qui créera Suor Angelica de Puccini trois ans plus tard), Giovanni Martinelli et Pasquale Amato, le tout dirigé par Arturo Toscanini !

En dépit de ces brillants débuts, le dixième des treize opéras de Giordano ne s'est pas imposé. En cause, peut-être, un livret artificiel, hésitant entre comédie et pathos, un contexte dramatique trop semblable à celui du célèbre Andrea Chénier (1896), une écriture ambiguë, pour le coup plus proche de celle de Fedora (1898), par le refus (relatif) des pezzi chiusi, la volubilité de son écriture lyrique, moulée sur un texte prolixe mais riche en mélodies. On pense tantôt au Verdi de Falstaff, tantôt à La Rondine et à Manon de Puccini (le pastiche du style empire de l'Acte II), tantôt à l'Alfano de Cyrano voire aux conversations en musique de Wolf-Ferrari, même si l'orchestration, profuse et un rien pompeuse, appartient en propre à Giordano.

Comme l'admet notre collègue Jean Cabourg dans le programme de salle, l'œuvre apparaît mieux taillée pour la scène que pour le concert, vu la vivacité de son action musicale et son dispositif orchestral – qui, placé sur le même plan que les chanteurs, tend à les engloutir dans les actes extrêmes, d'autant que la direction de Stefano Ranzani, d'une ampleur mahlérienne, manque parfois de subtilité. Elle tire cependant le meilleur d'un Orchestre national de Montpellier manifestement motivé et lyrique, surtout du côté des cordes.

Madame Sans-Gêne convoque une vingtaine de personnages, qui ont tous été distribués avec discernement, même si les trois « seconds rôles masculins » (Matteo Mezzaro, Florian Sempey, Michal Partyka) - dont le trio du début de l'Acte II annonce de façon stupéfiante celui des ministres de Turandot ! - l'emportent haut la main sur leurs homologues féminins. Franck Ferrari possède l'autorité de Napoléon mais tend trop souvent à chanter « en arrière », tandis que Franco Pomponi campe un sonore Fouché et Pablo Karaman un Comte de Neipperg trop étranglé. Remplaçant Marcello Giordani dans le rôle éclatant et un rien pompier de Lefebvre, le ténor américain Adam Diegel fait valoir un timbre de stentor qui semble imiter celui de Del Monaco, une projection et technique solides mais ses sonorités uniformément trompettantes fatiguent vite.

Il compose avec Iano Tamar un couple des plus disparates. Durant deux heures, le rôle-titre est presque constamment « en scène » et tout l'ouvrage repose sur l'abattage comme sur l'endurance de son interprète, de qui sont exigés à la fois une aptitude au syllabisme rapide (Acte I), un véritable lyrisme vériste, un large ambitus et, évidemment, un sens théâtral sans faille. La soprano géorgienne, qui paraît depuis toujours s'interroger sur sa vocalité, s'y collette avec panache, jouant les lavandières avec son rauque et sensuel registre de poitrine, sans esquiver pour autant aigus ni sons filés. Avouons qu'elle nous convainc moins dans le legato de « Gli avrei detto » que dans les invectives sur fond de marche funèbre du finale de l'Acte II (le grand moment de la soirée) et que sa diction couverte nous fait perdre une grande partie du texte. On ne prétendra donc pas que son incarnation ait été sans tache, ni que cette lecture chaleureuse nous ait persuadé de l'absolue perfection de l'ouvrage : mais elle fait passer un frisson de plaisir suffisant pour nous donner envie de le revoir, mis en scène, si possible - un jour.

C'est ça, la magie de Montpellier...

Olivier Rouvière

Giordano : Madame Sans-Gêne – Montpellier – Corum-Opéra Berlioz, 19 juillet 2013.

Festival de Radio France et Montpellier Languedoc Roussillon, jusqu’au 25 juillet 2013 ; rens. : www.festivalradiofrancemontpellier.com

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Photo : Luc Jennepin
 

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