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Lyon - Compte-rendu - Le vrai visage d’une œuvre impossible, le tandem Minkowski-Pelly se confronte aux Boréades de Rameau


Et si la vraie raison de l’abandon des Boréades par ses contemporains résidait dans le fait que la partition dépassa leur entendement et que son exécution leur paru techniquement insurmontable ?

Gardiner s’y frotta le premier en 1982 soit plus de deux siècles après la composition de l’œuvre. En vingt ans d’existence, trois productions notoires ne sont pas parvenues à rendre l’ouvrage lisible : Martinoty pour Gardiner noyait la partition dans un théâtre de costumes dont plus aucune image dramatique ne nous reste en mémoire (mais l’enregistrement, lui, a conservé toute sa puissance), les Herrmann pour Salzbourg y transcrivaient l’action façon cabaret berlinois, accumulant les contresens, enfin Carsen à Garnier fit un beau spectacle mais sans rapport réel avec l’importance de l’œuvre.

Car Les Boréades sont à la fois ce que Rameau aura osé de plus absolu – la musique semble sortie directement de son intellect pour se saisir de l’orchestre – alors même que son objet dramatique est évacué au bout d’un quart d’heure. Les Boréades ne sont plus dans leur dramaturgie, l’objet même de la Tragédie Lyrique les a désertées. Ce processus était déjà engagé depuis un certain temps. Dés 1760, Rameau avait mis le doigt dans l’engrenage avec Les Paladins en représentation tout ce mois au Châtelet.

Pelly a choisi d’être simplement narratif. Peu aidé par de hauts demi cylindres qui encombrent la scène, tout le début du I sembla étriqué, mais une fois que le décor s’ouvrait et se recomposait, le metteur en scène su en jouer à loisir pour varier les entrées des danseurs et du chœur, refermant autour d’Alphise les pièges des prétendants, Calisis et Borillée.

Distribuer cet opéra n’est pas aisé, Mireille Delunsch l’a compris à ses dépends. Dans sa robe vénéneuse, avec sa couronne implacable, elle dessina un personnage farouche, dramatiquement somptueux, une amazone irréductible. Mais la voix souffrait durant tout le I, les vocalises à peine détaillées, la tessiture meurtrière mettant à mal la justesse. Il fallait que l’instrument s’assouplisse et dés le II, malgré la fatigue (nous étions à la dernière), elle reconquit progressivement tous ses pouvoirs vocaux. Mais il reste clair qu’Alphise lui échappe. Pour qui a dans l’oreille Jennifer Smith, le personnage même restera paré d’une plus grande complexité.

Si Marcel Boone fut anecdotique en Borilée (mais le rôle est peut-être le plus plat de l’ensemble), Tom Allen donna un relief dramatique comme vocal inédit à Calisis. Le grand ténor à la française, d’un caractère héroïque, éclatait les cadres de son personnage. L’aigu démesuré annonçait au moins une quinte d’espace en plus. Mais d’où vient-il, de Mars ? Non, de Chicago. Ces américains tout de même, ils exagèrent.

Point faible du spectacle, les chorégraphies, plus proche de la gymnastique au sol que du ballet. Voila bien le handicap majeur d’une production dont il faut encore raffiner les éclairages et peut-être varier les costumes Les Boréades sont-elles maçonniques ? La Flûte enchantée de Rameau, si vous voulez. Pelly semble répondre oui, copiant Adamas sur Zarastro. Degout impeccable et chez lui à Lyon y triompha, impérial et humain. Evidemment Abaris annonce Tamino, Agnew y fait ce qu’il peut, admirable à sa façon, mais parfois dépassé par le format héroïque du personnage (on y entendrait idéalement le ténor plus tranchant d’un Eric Tappy, O regrets !). Magalie Léger campa joliment Sémire et l’enfantine Malia Bendi Merad alterna avec grâce l’Amour et Polymnie. Dans ces deux rôles, cette voix aura dit tout ce qu’elle peut. Yniold peut-être suivra, on craint que ce soit tout. Bel Apollon de Dolié, portant ses lumières dans les paumes, mais la révélation de la soirée fut Borée lui même.



Campé devant son hélice au V, François lys absorba le public dés son premier mot. Quoi, une basse française ? Depuis Pernet on avait oublié la réalité de ce registre. Et Borée n’est pas la partie la plus aisée de l’œuvre, son chant par monts et par vaux, ses sauts d’obstacles ne font pas de cadeaux. Lys mordait les mots et débordait la salle modeste de l’Opéra de Lyon : le tranchant et la plénitude réunie.

Sans jamais rien céder, Minkowski imposait l’orchestre fou de Rameau à nos oreilles ébahies. Cette musique est divine, monstrueuse, impossible, on la dirait à la fois composée demain et voici des siècles. Le temps historiques disparaît entre ses portées. Où voulait aller Rameau ? Il répond par un pied de nez en concluant non par la traditionnelle chaconne que la grande tragédie des Boréades appelait naturellement, mais par des contredanses qui sonnent avec un faux air de carmagnole. Des suites au disque ? Qui sait…

Jean-Charles Hoffelé

Dernière des Boréades de Jean-Philippe Rameau, Opéra de Lyon, le 21 mai 2004. Le spectacle sera redonné par la même distribution à l’Opéra de Zurich jusqu’au début juillet.

Photo: Gérard Amsellem

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