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L’Opéra de quat’sous au Théâtre des Champs-Élysées – Luxueux - Compte-rendu

Prêté par le Théâtre de la Ville (désormais fermé durant deux ans pour travaux), L’Opéra de quat’sous trouve refuge au théâtre de l’avenue Montaigne. Cette production du Berliner Ensemble, concoctée par Robert Wilson et créée à Berlin en 2007, avait déjà voyagé, comme en 2009 et 2010 en ce même Théâtre de la Ville. Il s’agit donc d’une reprise, mais surveillée et peaufinée jusqu’au dernier moment par Wilson (présent dans la salle et lors des applaudissements, nourris). Et cela se sent et s’entend, dans un travail léché jusqu’au moindre détail.
 

Traute Hoess, Johanna Griebel & Jürgen Holtz © Barbara Braun
 
On ne s’étonne pas de retrouver la patte du maître : ces lumières crues de tubes fluorescents sur fond noir, ce jeu de théâtre d’ombres chinoises (ou plutôt japonaises), cette esthétique cinématographique en noir et blanc (pour un film parlant). Les personnages s’apparentent ainsi à des pantins, ou des marionnettes façon grand-guignol, grimés outrancièrement, avec des costumes et gestes stéréotypés – ce qui correspond tout à fait à l’esprit caricatural de la pièce même. Dans une précision de chaque mimique, et une réelle beauté plastique.
 
Mais c’est peut-être ici que le bât blesse. Car ce rendu esthétisant et glacé n’est peut-être pas exactement l’esprit de cabaret qui gouverne l’œuvre immortelle de Brecht et Weill (créée à Berlin en 1928, avant un triomphe mondial), qui narre les frasques de malfrats dans un sordide Soho londonien. D’autant que la vivacité des scènes corrosives et leurs dialogues parlés d’un cynisme anarchisant sans âge, tend à s’alanguir entre des passages de mimodrame silencieux et des chansons célèbres qui se font attendre. Dans le répertoire plus traditionnel de l’opéra, où Wilson excelle, le temps demeure imparti par la musique. Mais ici, dans ces Quat’sous manière Butterfly, la durée paraît s’étirer. Cela dit, sans trop vouloir chipoter notre plaisir...
 

Christopher Nell © Barbara Braun
 
Car la réalisation reste parfaite, on s’en serait douté. Louange soit donc rendue aux intervenants du Berliner Ensemble ! De la bonne vingtaine de solistes vocaux, impeccables acteurs autant que chanteurs, on retiendra, en raison de leur participation principale : Christopher Nell, Macheath ou « Mackie » criant de vérité en petite frappe avec sa dégaine de dandy quelque peu travelo, et ses « deux épouses », Johanna Griebel, Polly d’une voix consistante bien posée, et Friederike Nölting, Lucy assurée. Les uns et les autres dans une parfaite élocution allemande (d’origine), et sonorisés ; ce qui serait dommageable pour la couleur sonore mais peut se comprendre dans le contexte d’une vaste salle. La dizaine d’instrumentistes du Dreigroschen (ou « Quat’sous ») Orchester, formation créée spécialement pour l’occasion, guitare hawaïenne, banjo et bandonéon compris, apporte le meilleur des soutiens sous la direction de Hans-Jörn Brandenburg, par ailleurs auteur des arrangements. En compagnie de bruitages (autre tic de Wilson), auxquels Weill n’avait pas pensé, mais en situation. Le Berliner Ensemble renoue ici fastueusement avec son histoire, lui qui fut fondé en 1949 par Brecht ; mais aussi, d’une autre façon, le Théâtre des Champs-Élysées, qui accueillit et créa en 1933 Les Sept Péchés capitaux, l’ultime collaboration conjointe de Weill et Brecht. Une commémoration en quelque sorte, avec un certain luxe, de circonstance.
 
Pierre-René Serna

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Brecht &Weill : L’Opéra de quat’sous (Die Dreigroschenoper) – Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 25 octobre 2016 ; prochaines représentations : 27, 29, 30 et 31 octobre / www.concertclassic.com/concert/lopera-de-quatsous-2

Photo (Traute Hoess & Jürgen Holtz)  © Lesley Leslie-Spinks

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