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L’Italienne à Alger au Théâtre des Champs-Élysées – Conquérante - Compte-rendu

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Un délire d’applaudissements ! Non seulement à la fin du spectacle, avec rappels et une partie de public debout, mais pareillement avant l’entracte – ce qui est nettement plus inhabituel. L’Italienne à Alger provoque donc l’engouement général au théâtre de l’avenue Montaigne. Au point que l’on pourrait croire, pour ce concert, à un parterre de divas et divos au succès télécommandé.
 

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Omo Bello / © DR

Loin s’en faut !… Si ce n’est pour Marie-Nicole Lemieux, il est vrai au mieux de ses éclats, Isabella pétulante, y compris dans ses minauderies (parfois excessives) et son décolleté plongeant, dispensée à travers une colorature sans faille, un alto profond et une parfaite égalité de tessiture. Ses partenaires vocaux ne partagent pas la même renommée, mais s’acquittent avec adéquation et parfois brio de leurs parties. D’Antonino Siragusa, Lindoro qui met une belle énergie à défaut de toujours subtilité, à Nicolas Cavallier, Mustafà bien campé sans être nécessairement dextre, à Omo Bello, juvénile et fraîche Elvira, jusqu’aux crédibles Nigel Smith, Nicolas Rigas ou Sophie van Woestyne. Sans surprise, finalement. Eh bien, la raison de l’impact saisissant de la soirée est à rechercher ailleurs ! Dans la verve irrésistible de l’opéra de Rossini, quand elle est comme ici transmise magistralement. Un opéra de chanteurs ? Non, un opéra de chef !
 
 

Sir Roger Norrigton / © Jean-Baptiste Millot

À œuvre géniale, interprète génial ! Nous parlons, bien évidemment, de Roger Norrington. Ce n’est pas tant un chef-vedette, célébré par les médias, bien que nous sachions une poignée de connaisseurs qui le suivent, concert après concert... Il ne faut donc pas se fier à sa gestique économe, si peu effet d’estrade (amusant ! si l’on oppose au côté démonstratif de Lemieux), sinon au résultat : la franchise des attaques, les équilibres impeccables, la dynamique impressionnante entre pianissimi imperceptibles et forte explosifs. Mais aussi les détails ciselés, comme ces pizzicatos fluides et néanmoins nets, ou cette flûte délicieusement à découvert, ou ces cors lisses (dans les airs d’entrée du ténor et de l’héroïne)… Il y a un son Norrington, immédiatement caractéristique, en l’espèce sans vibrato. Et l’Orchestre de chambre de Paris s’y plie avec aisance, comme les meilleures formations baroqueuses. Le Chœur Aedes répond d’une même voix, unitaire et percussif. Et dans ce bel élan d’ensemble, on n’omettra Ronald Schneider (omis par le programme de salle), expressif pianofortiste et complice régulier de Sir Roger.
 
Ajoutons une restitution scrupuleuse de la partition, qui donne à entendre par exemple l’air d’Haly, que l’on n’entendait jamais autrefois (et qui, au demeurant, ne serait pas de Rossini), où se reconnaît l’exigence du Norrington musicologue. Et oublions quelques simagrées, de la part des chanteurs masculins, dont on se serait bien passé – mais qui ont l’heur de provoquer les gloussements ravis de dames emperlées du public (autre motif au succès général ?). Pour louer un Rossini vif-argent, tel qu’en lui-même, et comme il est peu fréquent (chez certains lionceaux de la baguette ou dans la récente production de cette même Italienne à Bastille).
 
Pierre-René Serna
 
Rossini : L’Italiana in Algeri (version de concert)- Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 10 juin 2014.
 
Photo Marie-Nicole Lemieux / Denis Rouvre/ Naïve

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