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Les Troyens à l’Opéra de Munich – Pour l’interprétation musicale – Compte-rendu

 
 
L’Allemagne demeure le territoire privilégié des opéras de Berlioz, à défaut du territoire français. Peu après Béatrice et Bénédict à Cologne (1), c’est ainsi que succèdent Les Troyens à l’Opéra de Munich. En l’espèce, la restitution se conforme à l’état final de l’opéra, tel qu’établi par la partition éditée par Bährenreiter, hormis la coupure des trois Entrées du 3e acte, pour une soirée commencée à 17 h et achevée à 22 h y compris les deux entractes. Ce qui témoigne d’une réelle ambition, au rebours sur ce plan des Troyens traficotés et tronqués donnés il y a peu à l’Opéra de Paris (2). Le choix des interprètes s’inscrit pareillement dans ce registre de conformité scrupuleuse, avec une distribution largement francophone (ou d’une parfaite élocution française) et des mieux adaptées, en sus de la direction musicale éclairée de Daniele Rustinoni (par ailleurs directeur musical de l’Opéra de Lyon). La direction générale de l’Opéra de Munich, confiée depuis un an à Serge Dorny, ancien directeur de l’Opéra de Lyon, est certainement redevable de ces choix pertinents.
 

Gregory Kunde (Enée) © Wilfried Hösl
 
Les chanteurs solistes réunis accomplissent leurs rôles et leurs fonctions au plus près des intentions de l’œuvre. Les deux héroïnes principales, trouvent en Marie-Nicole Lemieux (photo à g.) une Cassandre de belle facture avec puissance quand il faut (malgré quelques aigus un peu tirés) et en Ekaterina Semenchuk une Didon délivrant avec aisance le lyrisme des 3et 4actes, puis au final une belle fureur ardemment lancée. Le vétéran Gregory Kunde, et vétéran dans le répertoire de Berlioz, campe un Énée d’une magnifique projection (à 68 ans accomplis !). Et le public de lui réserver un triomphe mérité en fin de son air du 5e acte, seule interruption d’applaudissements d’une soirée particulièrement attentive. Stéphane Degout (photo à dr.) figure pour sa part un Chorèbe accompli. Alors que les petits rôles s’épanchent tout aussi judicieusement, comme l’Anna de vrai contralto de Lindsay Ammann, le Narbal ténébreux de Bálint Szabó, ou le Iopas délicieusement élégiaque du ténor léger Martin Mitterruntzner. Et tous de mériter un bravo d’ensemble qui ne manquera pas au moment des saluts.
 

Stéphane Degout (Chorèbe) © Wilfried Hösl
 
La direction emportée de Rustioni se fait attentive et précise, devant un Bayerisches Staatsorchester d’une sonorité parfois un peu rêche. Le chœur intervient à-propos et d’une projection ample, bien que parfois d’un seul bloc, mais s’ajustant mieux au fil de de la soirée. On regrettera cependant certains effets de spatialisation voulus par Berlioz malencontreusement estompés, comme lors du final du premier acte, d’un chœur et de fanfares passant théoriquement des coulisses pour investir la scène.
 

© Wilfried Hösl
 
Reste la mise en scène, puisque mise en scène il y a. Celle-ci échoit à Christophe Honoré, également habitué de l’Opéra de Lyon. Les deux premiers actes, à Troie, s’ébrouent dans un statisme des foules chorales en tenues de soirée (comme pour un concert), une action réduite à sa plus simple expression devant un décor de panneaux abstraits et d’image de mer (avec la simple évocation du Cheval de Troie par l’intromission des mots lumineux : « Das Pferd », le cheval en allemand). Passons… Passons au troisième acte, pour découvrir une Carthage transformée en plage de nudistes (!) et une Didon s’adressant à un peuple absent (d’un chœur invisible en contrebas et transmis par quelques haut-parleurs). Puis à l’acte suivant, pour voir la pantomime « Chasse royale » et les ballets signifiés par des écrans cinématographiques présentant des manières de film porno avec séquences de baise chez les gays. Provocation à trois sous, qui n’en est plus guère une de nos jours et confine à la vaine gratuité sans rapport aucun avec la thématique du livret (et des amours de Didon et Énée). D’où les huées (voulues et attendues ?) en fin de ces épisodes.
 

Daniele Rustioni © Blandine Soulage
 
La soirée s’écoule ensuite de même, entre baigneurs et couples gays enlacés, déplacés parmi un décor de piscine. Le tout inapte, mais surtout sans réelle illustration de la trame. De surcroît, dans une façon anti-opéra, les chanteurs solistes se retrouvent le plus souvent relégués en fond de plateau, au détriment de leur émission vocale dans une salle dont déjà l’acoustique ne bénéficie pas d’une grande présence ! Autre écueil de cette production, amoindrissant les effets d’une musicalité pourtant bien présente.
 
Pierre-René Serna
 

 
(1) www.concertclassic.com/article/beatrice-et-benedict-lopera-de-cologne-en-son-essence-delicate-compte-rendu
 
(2) www.concertclassic.com/article/les-troyens-lopera-bastille-grande-ambition-effets-circonscrits-compte-rendu
 
Berlioz : Les Troyens – Bayerisches Staatsoper/Opéra de Munich, 9 mai ; prochaines représentations : 14, 21, 26, 29 mai, 6 et 10 juillet 2022 // www.staatsoper.de/en/productions/les-troyens
 
Photo © Wilfried Hösl

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