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Les Percussions de Strasbourg et Pierre Jodlowski à la Philharmonie de Paris – Frissons à Ghostland –Compte-rendu

Parmi les concerts que proposait la Philharmonie lors du week-end « Fais-moi peur ! », on pouvait croiser quelques fantômes, réveillés par les Percussions de Strasbourg, le plus ancien ensemble en France de création musicale, au format unique, et riche d’un répertoire exceptionnel qui ne cesse de s’élargir. En témoigne Ghostland du compositeur français Pierre Jodlowski, paru au disque en novembre dernier, créé en septembre 2017 en Pologne, dans le cadre du Festival Automne à Varsovie, et que le public parisien a donc pu découvrir.
 
L’accueil au Studio de la Philharmonie un samedi soir d’hiver met en condition d’étrangeté. Dans les couloirs vides de l’immense vaisseau de Jean Nouvel, circule un public restreint mais motivé, en quête de la salle en sous-sol. On se presse d’envie d’avoir peur. Des nappes électroniques mystérieuses nous invitent dans la pénombre du Studio, archi plein. Une fois assis, le bleu profond de l’écran en fond de scène prépare le spectateur au voyage. Alors qu’une voix enregistrée magnifique (Katharina Muschiol) récite, entre autres, les vers du célèbre Erlkönig de Goethe, apparaît un spectre derrière un autre écran blanc, en avant-scène à cour, le tout sur fond d’électronique calme mais instable, jouée en direct par P. Jodlowski. Entrent en scène et en cadence quatre personnages cagoulés et masqués : les percussionnistes préparent leur matériel, bientôt prêts à « dégainer ».

© Les Percussions de Strasbourg
 
Grincements, cliquetis métalliques, gestes chorégraphiés impeccablement maîtrisés et synchronisés ou volontairement décalés - ouverture et fermeture de mallettes en rythme, en chœur, ou à contre temps. Démarre ainsi un immense crescendo, complexe, organique, d’une densité telle que, même la personne la plus réticente à ce genre de performance, ne peut résister. Il s’agit d’une aventure collective, paradoxalement très incarnée, pour évoquer l’irréel. Ça pulse, grince, groove, danse, sature même, avec sons de guitare et batterie déjantée.

© Les Percussions de Strasboug
 
Ghostland serait donc un OSSNI (Objet Sonore Scénique Non Identifié) peuplé d’idées - au sens philosophique, et de fantômes. Une ombre derrière l’écran, se métamorphose soudainement en musicien, de chair, d’os, d’énergie et d’élan vital pour disparaître à nouveau et ainsi de suite, chacun leur tour, le tout en rythme et avec une précision virtuose. Tour de force pour les quatre solistes : Flora Duverger (extraordinaire !), Minh-Tâm Nguyen (directeur artistique des Percus) (2), François Papirer, Galdric Subirana.
 
Le spectacle revendique une musique active, tant dans sa dimension physique (les gestes, l’espace, la chorégraphie, les lumières…) que psychologique et mémorielle. Les souvenirs, nos fantômes, viennent se cogner au tumulte des batteries pour finalement s’y fondre comme matière sonore. Spectacle cathartique de haut vol.
 
Gaëlle Le Dantec

 
(1) CD Percussions de Strasbourg / Outhere / Believe Digital
 
(2) www.concertclassic.com/article/les-percussions-de-strasbourg-interpretent-ghostland-de-pierre-jodlowski-la-philharmonie-de
 
Paris, Philharmonie, Studio, le 19 janvier 2019
www.percussionsdestrasbourg.com
www.pierrejodlowski.fr

Photo © Les Percussions de Strasbourg 

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