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Les Percussions de Strasbourg interprètent Ghostland de Pierre Jodlowski à la Philharmonie de Paris – Faire vivre le patrimoine et continuer à créer

Les venues des Percussions de Strasbourg à Paris ne sont pas fréquentes et le rendez-vous que la formation propose samedi 19 janvier apparaît on ne peut mieux accordé à la thématique du week-end de la Philharmonie de Paris : « Fais-moi peur ! ». Les percussionnistes alsaciens donnent en effet la création parisienne de Ghostland, le territoire des ombres de Pierre Jodlowski, une partition ténébreuse, énigmatique et envoûtante que l’on a déjà pu découvrir par l’intermédiaire d’un enregistrement sorti en fin d’année passée.(1)
 
Rajeunissement et projets nouveaux
L’entrée d’un tel ouvrage au répertoire de l’ensemble offre une illustration du nouvel essor qui le porte depuis quelques années. Membre des « Percus » depuis 2012 et directeur artistique depuis septembre 2018, Minh-Tâm Nguyen (photo) ne manque pas de saluer l’apport de son prédécesseur, Jean Geoffroy (direct. art. de 2015 à 2017). Sous son impulsion, les formats à 2, 3, 4 ou 5 musiciens se sont multipliés, rendant la formation plus « malléable » et conduisant à un spectaculaire accroissement du nombre de concerts. « Nous sommes passés d’une dizaine de dates par an en 2012 à 45/55 dates, ce qui a fait revivre le groupe, lui a permis de se rajeunir et de développer des projets nouveaux, par exemple avec un improvisateur tel que eRikm ou un compositeur comme Pierre Jodlowski. Il est important pour moi d’avoir des équipes dédiées à chacun des projets, car ceux-ci sont en lien avec le compositeur et les interprètes. »

Patrimoine et création
M.-T. Nguyen s’inscrit donc dans la continuité de l’action de J. Geoffroy(2) et de l’histoire plus que riche d’un ensemble qui a suscité 350 créations depuis sa fondation par Jean Batigne en 1962, parmi lesquelles nombre de chefs-d’œuvre du répertoire. « Ma mission est de faire vivre le patrimoine et de continuer à créer. Nous sommes à onze musiciens actuellement, rien ne dit que nous ne seront pas plus nombreux dans quelques années. »
Répertoire et création vont souvent de pair dans l’activité des Percussions de Strasbourg. Ainsi Necronomicon (1971, pour six percussions) de l’Espagnol Tomás Marco (1942) sera repris en mars prochain au cours d’un concert où Michaël Levinas livrera une nouvelle orchestration de Transir, pièce de 2005 pour six marimbas. On y entendra en outre une création de Gabriel Sivak.
Autre exemple avec Persephassa de Xenakis, ouvrage pour six percussionnistes (installés autour du public) qui fête ses 50 ans cette année. « Nous avons demandé à Carmine Emanuele Cella, un génial compositeur italien, de concevoir une pièce en miroir de celle de Xenakis, avec une disposition identique des musiciens, explique N.-T. Nguyen. Le deux ouvrages seront donnés dans le cadre de Milano Musica en octobre prochain. La pièce de Cella sera l’occasion de créer un instrument augmenté ; un instrument électronique sans enceinte. »

Ghostland © Les Percussions de Strasbourg

Devoir de transmission
Depuis leur fondation, les Percussions de Strasbourg ont constitué un impressionnant instrumentarium d’environ 500 instruments (parfois venus de contrées lointaines), parmi lesquels certains expressément conçus pour la formation (c’est le cas pour le sixxen utilisé par Xenakis). La mémoire dont elle est porteuse lui impose un devoir de transmission. Nombreux sont ceux qui viennent demander conseil aux musiciens des « Percus » pour l’exécution de telle ou telle œuvre ; leurs membres ont par ailleurs l’occasion d’intervenir dans les conservatoires, les CNSMD, les Pôles Supérieurs. « Nous avons une relève à assurer », souligne N.T. Nguyen.
Reste que la transmission s’adresse aussi à un public bien plus large, enfants ou adultes, et se traduit par de nombreuses actions – en particulier dans le quartier de Hautepierre à Strasbourg – dans le cadre des ateliers créatifs Percustra. « La pédagogie Percustra, a été inventée il y a quatre décennies, rappelle M.T. Nguyen, avec l’idée non d’apprendre à jouer d’un instrument mais d’apprendre à « jouer ensemble ». Avec le temps le projet Percustra avait évolué vers un apprentissage des instruments. Depuis cinq ans nous sommes revenus à son esprit originel. Un projet ambitieux puisqu’il fait l’objet de cinq ateliers, trois en milieu scolaire, deux tout public, avec pour chacun quinze séances (30 heures au total) réparties de janvier à juin et que couronne un concert de fin d’année. Il s’agit d’une démarche d’écriture collective, les membres des Percussions orientent les participants et écrivent la musique avec eux. Il n’y a pas que la percussion ; le corps, le mouvement, l’électronique, la vidéo, et même les jeux vidéo sont impliqués. »

Ghostland © Les Percussions de Strasbourg

Indépendance discographique
Transmettre ? L’enregistrement continue de jouer un rôle très important pour la formation alsacienne. Longtemps éditée par Philips, puis Universal, elle a pris son destin discographique en main en créant son propre label (sur un rythme d’une nouveauté par an). Première référence sortie en 2016, Burning Bright de Hugues Dufourt a remporté un grand succès (dont les Victoires de la musique en 2017), suivi d’un très séduisant « Drum-Machines » avec eRikm aux platines et, il y a peu donc, le lovecraftien Ghostland de Jodlowski. L’automne 2019 sera marqué par la sortie d’un programme plus classique, entièrement japonais, réunissant autour de Hierophonie V (1975) de Yoshihisa Taïra (1937-2005), l’un des piliers du répertoire des « Percus », des pièces d’Hosokawa, Kishino (une ancienne élève de Taïra) et Takemitsu – une manière de prélude à la tournée prévue au Japon en 2020. Quant aux nombreux et précieux  enregistrements de l’époque Philips, ils sont progressivement rendus accessibles sous forme numérique.
 

Pierre Jodlowski © GPLC -Didier Plowy

Travailler sur la présence scénique
La saison 2019-2020 s’annonce très riche avec, dès le 29 septembre au Festival Musica, un portrait de Thierry de Mey (dont une création : Timelessness) auquel M.T. Nguyen attache une grande importance car le projet « se situe au cœur de ce qu’il veut apporter à l’ensemble : le travail sur la présence scénique »
Cet aspect est déjà très présent dans Ghostland, qui après quatre représentations à Strasbourg en novembre dernier, s’offre au public parisien le 19 janvier. Une réalisation aussi inclassable que saisissante, où les percussionnistes sont bien plus que des musiciens et dont chaque exécution se révèle différente du fait de l’interaction entre les quatre instrumentistes et Pierre Jodlowski, qui réalise en direct de la partie électronique.

Enfin, si vous n’avez encore fait l’expérience de l’extraordinaire Burning Bright de Dufourt en concert, notez que l’ouvrage est au programme des Percus, le 5 février prochain, au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg.

Alain Cochard
(entretien avec Minh-Tâm Nguyen réalisé le 27 décembre 2018)

(1) 1CD Percussions de Strasbourg / Outhere/ Believe Digital ( disponible également en vinyle)
(2) Précisons que M.T. Nguyen a assuré l’intérim entre juin 2017 et la rentrée 2018 en tant que coordinateur artistique
 
Jodlowski : Ghostland
Les Percussions de Strasbourg
19 janvier 2019 – 20h30
Paris – Philharmonie (Studio)
philharmoniedeparis.fr/fr/activite/spectacle/19436-ghostland?date=1547926200
 
 
Site des Percussions de Strasbourg : www.percussionsdestrasbourg.com/
 
Photo © Claudia Hansen

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