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Les Pêcheurs de perles au Grand Théâtre de Genève – Télé Réalité – Compte-rendu

 

Lotte de Beer se définit comme une petite-fille du Regietheater germanique. Pas de surprise donc, après son Aïda décoloniale de l’Opéra Bastille, à la voir déconstruire l’opus d’un jeune Bizet dont l’inspiration est sans cesse ensorcelante. Prenant prétexte du livret inconsistant de Cormon et Carré, la metteuse en scène hollandaise choisit de nous amuser en interrogeant ce qu’est la conception d’un imaginaire artistique. Celui des années 1860 était l’exotisme, le nôtre relève d’une vacuité télévisuelle dont les Marseillais à Miami et Koh-Lanta sont d’affligeants symptômes.
 

© GTG – Magali Dougados
 

Dans cette vision qui change des platitudes souvent attachées aux Pêcheurs, la plage de Ceylan reste bien une plage, mais habitée par des hippies qu’une équipe de téléréalité vient éradiquer à grands coups de dollars. S’y installe l’émission Pêcheurs de perles The Challenge. Point de chœurs exotiques, mais un décor de douze appartements occupés par des téléspectateurs. On dénombre une famille bourgeoise, des hooligans enivrés, une cellule monoparentale, un vieux garçon avec maman, un couple de nouveaux occupants peu doués en travaux d’intérieur... Tous votent par SMS pour Zurga ou Nadir, lesquels chantent leurs airs depuis un confessionnal, le visage projeté en très gros plan. L’enjeu ? La mort télévisuelle de l’un deux. L’occasion de diffuser, en interlude, un hilarant micro-trottoir réalisé dans les rues de Genève. Tout cela est bien joué, notamment l’impayable équipe de tâcherons télévisuels, même si la dynamique du spectacle créé au Theater an der Wien s’émousse, notamment en première partie.  
 

© GTG – Magali Dougados
 
Le quatuor vocal met en valeur l’élégant baryton-basse Michael Mofidian et le Zurga très attachant du norvégien Audun Iversen (photo) qui confère à son personnage un charisme vocal et visuel à la Thomas Hampson. Frédéric Antoun, ce soir de première, avait une ombre de rhume sur la voix et ne put offrir ce charme qu’on lui connaît depuis Gérard de Lakmé où débutait à ses côtés une certaine Sabine Devieilhe. La Russe Kristina Mkhitaryan incarne une Leïla tendre, rapidement bouleversante, avec de beaux aigus et un legato impeccablement maîtrisé. Dommage que David Reiland dirige sans ferveur l’Orchestre de la Suisse Romande. La splendide partition de Bizet mérite davantage d’énergie et d’onctuosité.  

 
Vincent Borel

Bizet : Les Pêcheurs de perles – Genève, Grand Théâtre, 10 décembre ; prochaines représentations les 15, 17, 19, 21, 23, 26 Décembre 2021
www.gtg.ch/saison-21-22/les-pecheurs-de-perles/?gclid=Cj0KCQiA2NaNBhDvARIsAEw55hgElsjQtGpcQZNYfI9XUK582NUJ7aq8Lj324sxYM2s7h6iqfBl_qWAaAkwnEALw_wcB
 
Photo © GTG – Magali Dougados

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