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Les Caprices de Marianne de Sauguet à l’Opéra de Reims - Pari gagné ! - Compte-rendu

Sur les pas du précédent Voyage à Reims en 2008-2011, le Centre Français de Promotion Lyrique (CFPL) propose une nouvelle production destinée à voyager : Les Caprices de Marianne. Le lancement solennel revient à l’Opéra de Reims, avant une tournée qui mènera l’opéra jusqu’en 2016 dans une quinzaine de maisons lyriques de France et même de Suisse (Neuchâtel). C’est aussi le résultat de tout un projet en amont, avec notamment la sélection d’interprètes parmi quelque 230 postulants originaires de 28 pays. Puisque le CFPL entend faire la promotion des jeunes chanteurs.
 
Le choix de l’opéra d’Henri Sauguet (1901-1989) est à cet égard significatif, qui permet de réunir neuf chanteurs solistes dans toutes les tessitures. On ne peut aussi que louer l’élection d’un ouvrage rare, dû à un compositeur qui l’est autant. Une double initiative en quelque sorte : la confirmation de nouveaux talents du chant, associée à la défense d’un répertoire français injustement méconnu. Et nul doute que pour beaucoup de mélomanes, Les Caprices de Marianne constitueront, en sus d’une découverte, une révélation.  
 
Créé en 1954 au Festival d’Aix, l’opéra n’a depuis lors été repris que de loin en loin (à Tours, à Saint-Céré et à Compiègne du temps de Pierre Jourdan). L’œuvre cadre assez mal avec l’image primesautière que l’on se fait de l’auteur des Forains, disciple de Satie, « sot et gai » (comme aurait pu dire Boulez, lorsqu’il qualifiait Jolivet de « joli navet »). On serait plutôt tenté d’y voir une façon de prolongement de Pelléas, dans la déclamation linéaire et certaines couleurs orchestrales ; mais piqué de touches de fantaisie et d’élans de lyrisme, à la manière de Milhaud et du Rake’s Progress de Stravinsky, dans une complexité savante qui ne déparerait pas auprès de certaines œuvres des jeunes loups émergeants en ces années 50. Cela expliquerait le peu de postérité de l’ouvrage : trop audacieux pour les oreilles conservatrices, en même temps qu’extérieur à un sérialisme bientôt ravageur. Inclassable, au bout du compte.
 
Le livret, signé par Jean-Pierre Grédy, reprend la pièce éponyme de Musset, quelque peu allégée et réécrite pour les voix. Nous sommes donc dans une Naples de fabulation, qui voit se confronter le trio habituel : la femme, l’époux et l’amant. Mais dans une situation déviée, puisque l’amant n’est pas aimé de l’épouse, éprise pour sa part de l’ami, qui lui n’a d’yeux que pour l’amant éconduit. « Gai », disions-nous… ce qui ne semble pas une extrapolation hasardeuse, sachant les inclinations de Sauguet lui-même. Soit : un marivaudage, comme décalqué du Barbier de Séville, mais aux ressorts déglingués et achevé tragiquement.
 

© Alain Julien

 
La mise en scène d’Oriol Tomas sait jouer de ces ambiguïtés, mais sans note forcée, au sein d’une direction d’acteurs précise évoluant dans un joli décor unique, perspective stylisée de la Galerie Umberto Ier de Naples, serti de vigoureux et variés éclairages. Les interprètes peuvent alors donner libre cours à leurs talents. Pour la première des deux distributions, celle de la soirée de création à Reims, il n’est que de relever une parfaite adéquation, et ce jusqu’au moindre des rôles. Retenons le quatuor principal : la science du legato de Cyrille Dubois (Cœlio, ou l’amant malheureux) (1), éclatant dans son splendide monologue final ; la colorature éblouissante, et pourtant exigeante, de Zuzana Markova (Marianne), en dépit d’une ligne à la justesse parfois incertaine ; la sûreté d’émission de Philippe-Nicolas Martin (Octave, l’ami de l’amant) ; et la projection sombre et crâne de Thomas Dear (Claudio, le mari perfide). Tous, y compris pour la soprano tchèque précitée, avec une élocution exemplaire. Et sans laquelle cette œuvre, qui colle tant à l’ambitus restreint de la prosodie française, ne saurait être.
 
Le petit effectif de l’Orchestre de l’Opéra de Reims accomplit des miracles de ductilité rutilante, devant une partition qui le met à dure épreuve. Le chef Claude Schnitzler a ici réalisé un travail approfondi, pour servir au plus près un ouvrage qu’il aime, à n’en pas douter, et entend porter au mieux. Un quasi-sans-faute, pour un pari qui n’était pas pas gagné d’avance, et qui augure bien du succès de la tournée prévue.
 
Pierre-René Serna
 
 
Sauguet : Les Caprices de Marianne - Opéra de Reims, 17 octobre 2014. Prochaines représentations à Metz (Opéra-Théâtre) les 21 et 23 novembre, Massy (Opéra) les 5 et 7 décembre 2014, puis à Marseille, Tours, Rennes, Avignon & ( saison 2015-2016) à Saint-Etienne, Nice, Rouen, Toulouse, Bordeaux, Limoges. Calendrier détaillé sur www.cfpl.org
 
Photos © Alain Julien
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