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Les adieux de Manuel Legris : sillage d’étoile


Manuel Legris va beaucoup manquer à l’Opéra de Paris. Il faudra longtemps avant de retrouver un tel condensé d’élégante énergie, de perfection académique, aussi bien que de flamme romantique. Voilà que ce symbole d’éternelle jeunesse, au corps et à la technique trempés dans le sang du dragon, se voit rattrapé par le talon d’Achille des plus beaux artistes de l’opéra: l’administration. Legris, fin, léger, à la superbe batterie, doit aujourd’hui faire ses adieux. Et il le fait à sa façon, qui est maîtrise, dans un rôle épousant idéalement son image d’homme: le sombre héros d’Onéguine, ballet de John Cranko que l’Opéra vient d’ajouter à son répertoire. Un rôle à la fois classique et dramatique, comme l’Armand de la Dame aux Camélias de Neumeier, mais qu’il trouve un peu jeune pour lui.

Legris, ce fut pendant ses vingt-deux années de vie d’étoile, et c’est encore, un interprète également inspiré de Petit, Robbins, Béjart, Forsythe, Kylian, Neumeier, dont le contact lui a apporté un égal bonheur. Avec sa part d’ombre rentrée dans l’équilibre souriant, immuable de ses cinquièmes d’anthologie: « on m’a beaucoup accolé cette image de danseur académique, et je ne la récuse pas, mais j’aime aussi à me glisser dans des compositions plus ambiguës, dégager des ondes plus étranges. »

Si avec lui, le ballet parisien perd son modèle masculin, l’étoile, lui, n’a pas d’angoisse fondamentale sur son proche avenir. Lorsque le rideau retombera sur la fête que ses admirateurs ne manqueront pas de lui réserver pour une soirée qui promet d’être chaude(1), il aura bien sûr une larme sur cette scène qu’il a habitée aux dépends de toute vie véritable. Mais il sera vite loin, dans la tourmente d’un Danube qui le fera beaucoup valser. Car, dès la rentrée 2010, il sera aux côtés de Dominique Meyer à Vienne pour y prendre en mains les destinées du Ballet et de l’Ecole de l’Opéra. Une troupe et un répertoire laissés dans l’ombre par le poids du lyrique dans cette ville d’opéra, et dont la lourdeur institutionnelle est écrasante.

Mais pas d’inquiétude, la montagne, il l’escaladera, comme toutes les difficultés d’une carrière éclatante jusqu’à son terme. « A coup de travail et de passion », dit-il. Ne pleurons pas, nous le reverrons aussi dans le Charlus du Proust de Roland Petit et un peu la saison suivante, tandis que l’été l’emmènera à Tokyo en Compagnon errant de Béjart, un ballet qu’il a marqué puissamment.

Jacqueline Thuilleux

(1)Le 15 mai au Palais Garnier, avec Claire Marie Osta, Mathias Heymann et Myriam Ould Braham.

Proust du 27 mai au 8 juin 2009

> >Programme détaillé de l’Opéra Garnier

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Photo : David Elofer

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