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L'ensemble I Giardini joue Shaw et Bonis à Musique(s) rive gauche – Prometteuse préfiguration – Compte-rendu

L’offre de musique dite classique – et de musique au sens large – est très maigre côté rive gauche à Paris : pour remédier un peu à cette inégale répartition, une association (La petite musique bleue) s’est lancée dans l’organisation d’un festival dans le 14e arrondissement : Musique(s) rive gauche. Il ne verra véritablement le jour qu’en avril prochain mais, malgré toutes les complications inhérentes à la situation sanitaire, les organisatrices ont tenu à prendre date en confiant dès cette rentrée un concert de préfiguration à l’ensemble I Giardini.
 
Comme tant d’autres formations, celle menée par Pauline Buet et David Violi (photo), ses directeurs artistiques, avec Shuichi Okada et Léa Hennino à leurs côtés, a dû mettre son activité en pause à partir de la mi-mars. Son nom aura toutefois beaucoup circulé depuis lors grâce à la parution de « Nuits », un enregistrement avec Véronique Gens qui reprend un programme du Palazzetto Bru Zane donné plusieurs fois en concert l’an dernier.(1) Un bijou de poésie, d’onirisme, d’émotion, et d’esprit ! (2)
 
La musique française est aussi au menu du concert des Giardini, avec un bel ouvrage de Mel Bonis, mais une autre compositrice, américaine celle-là, et d’aujourd’hui, ouvre le programme : Caroline Shaw (née en 1982). Plus jeune récipiendaire du Prix Pulitzer (3) dans la catégorie musique en 2013 pour sa Partita for 8 voices, elle a ici pour ambassadrice Thousandth Orange (2018), en création française. La pièce procède d’un matériau très simple, une progression de quatre accords. «Rien d’extraordinaire. Rien d’extravagant », note l’artiste dans sa notule de présentation. Certes mais, à partir de ce matériau de départ très minimaliste, son sens du timbre instrumental (qui entend traduire les nuances de la couleur orange), l’art avec lequel elle enchaîne et, surtout, varie les atmosphères – d’une entrée en matière très hypnotique jusqu’à la nostalgique conclusion en passant par de belles envolées lyriques, un usage important des pizzicati aussi – aboutit à un franche réussite, servie par des interprètes aussi investis que convaincants.
 
© Cyril Faure

Il ne le seront pas moins dans le Quatuor avec piano en si bémol majeur n° 1 op. 69 (1900-1905) de Mel Bonis (1858-1937), ouvrage que les Giardini connaissent bien pour en avoir signé en remarquable enregistrement en 2014 (4). On découvre depuis quelques années maintenant la production et la personnalité de Bonis – un ouvrage à venir chez Actes Sud/PBZ y apportera d’ici peu sa contribution – et des partitions telles que le Premier Quatuor disent combien cette démarche se justifie. «Je n’aurais jamais cru qu’une femme fût capable d’écrire cela. Elle connaît toutes les roueries du métier », s’exclama Saint-Saëns après avoir entendu l’Opus 69 à sa création. Du « métier » sans aucun doute, mais par-delà le sens de la construction, de l’équilibre, ce sont d’abord le relief expressif et l’invention mélodique qui retiennent l’attention.
 
Difficile de résister au souffle et à la variété de coloris avec lesquels les Giardini emportent le mouvement initial (un épisode très riche où la compositrice prend toutefois garde à ne pas griller toutes ses munitions), à l’humeur mi tendre mi capricieuse de l’Intermezzo, au lyrisme intense – avec ce qu’il faut d’abandon, jamais trop – de l’Andante, ou à un Allegro ma non troppo final dont les quatre instrumentistes, unis dans la plus radieuse plénitude sonore, tirent tout le suc. Bonheur évident de retrouver une scène et un auditoire, un vrai ! ...
 
Découverte pour un large part du public, le Quatuor n°1 de Bonis emporte son légitime enthousiasme. Pauline Buet est une admirable violoncelliste ; elle possède de surcroît une fort jolie voix. Accompagnée de ses trois partenaires, elle offre Septembre de Barbara en bis. Un choix inattendu dont l’humeur mélancolique s’accorde à la lumière pré-automnale qui baigne la salle 1930 de la mairie annexe du 14e.

 Rendez-vous au printemps prochain dans divers lieux du 14e arrondissement pour la première édition de Musique(s) rive gauche !
 
Alain Cochard

(1)   On se félicite de le voir repris en certains lieux ; à l’Opéra d’Avignon, le 29 mai prochain, par exemple : www.operagrandavignon.fr/spectacles/veronique-gens-soprano-i-giardini/

(2)   1 CD Alpha 589 ; on en trouvera quelques extraits dans le chapitre 40 de nos Archives du Siècle Romantique : www.concertclassic.com/article/les-archives-du-siecle-romantique-40-du-chant-en-general-par-reynaldo-hahn
 Partenaire de longue date du Palazzetto Bru Zane, l’ensemble I Giardini à aussi pris part aux portraits de Théodore Dubois (Quatuor pour violon, alto, violoncelle et piano en la mineur) et de Fernand de La Tombelle (Quatuor avec piano) et au récital «Il était une fois » de Jodie Devos et Caroline Meng.
 
(3) www.nytimes.com/2013/04/18/arts/music/caroline-shaw-award-winning-composer.html?smid=tw-nytimesmusic&seid=auto&s=03

(4) Couplé avec le Quatuor avec piano n° 1 de Fauré (1CD Evidence Classics)
 
 
Paris, Marie annexe du 14e ardt ; 6 septembre 2020 (concert de 16h) // bit.ly/33eIiQ0
 
Photo © Cyril Faure

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