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Le Quatuor Béla à L’Orangerie et aux Bouffes du Nord – Nuits blanches et ombres schubertiennes – Compte-rendu

Génération après génération, les compositeurs continuent à se confronter au quatuor à cordes. Les pages de Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Bartok, Chostakovitch, Dutilleux ou Wolfang Rihm, chefs-d’œuvre devenus classiques, n’ont pas épuisé le genre. ProQuartet, qui organisait pour la troisième année consécutive une « Nuit du Quatuor » au Musée de l’Orangerie à l’occasion de la « Nuit blanche » initiée par la Ville de Paris, en est convaincu et a passé cette année commande à dix compositrices : dix miniatures donc de trois minutes chacune, créées par les dix formations invitées. Le format et le cadre nocturne – ainsi que le les Nymphéas de Monet qui entourent musiciens et public – se prêtent à la rêverie, comme le soulignent les tempos alentis et les mots susurrés da la Miniature de Dzovinar Mikirditsian (née en 1979), interprétée par le Quatuor Arod avant un Premier Quatuor de Schumann inégal mais plein d’énergie dans ses mouvements les plus rythmés. Pour le Castalian Quartet, formation internationale basée à Londres (et pas nécessairement habituée des créations contemporaines), Pascale Criton (née en 1954) a composé une Miniature qui est un peu une introduction à son univers musical : tout part d’un geste, dont les quatre musiciens entretiennent la flamme sonore par des micro-événements en modes de jeu variés ; une mise en condition d’écoute bien plus économe que l’entêtant (et un peu bavard) Quatuor en mi mineur de Fauré, mené avec brio par Sini Simonen, premier violon des Castalian.

Les musiques innovantes sont, tout au contraire, un domaine d’épanouissement indispensable pour le Quatuor Béla(photo). À l’Orangerie, leur programme est engagé, presque un manifeste : trois quatuors composés par des femmes, dont le plus ancien, celui de Ruth Crawford-Seeger, date de 1931. L'œuvre, surprenante avec ses effets de mouvement paradoxal et ses audaces formelles, est magnifiée par le jeu du quatuor Béla, comme le sont les deux autres partitions au programme, en parfaite opposition de forme et de format. Tout en appuis et mouvements répétés, les Stringsongs (2005) de Meredith Monk, s’inscrivent dans la lignée de Cage et de Reich. À l’inverse de cet espace musical longuement déployé, Nuits blanches de Florence Baschet (née en 1955), en création, réussit la gageure de faire vivre en trois minutes tout un monde intérieur, à la fois impassible et agité, volubile et au bord du silence.

© Hervé Frichet

Le Quatuor Béla et Noémi Boutin © Hervé Frichet

Deux soirs plus tard, aux Bouffes du Nord, le Quatuor Béla et la violoncelliste Noémi Boutin proposaient une belle réflexion sur le grand répertoire – à mille lieues de la muséification – avec une création de Daniel d’Adamo (né en 1966) enchâssant le Quintette à deux violoncelles de Schubert. (1) Les interventions de la violoncelliste, d’abord seule sur scène, accompagnée comme d’un écho par les musiciens du quatuor en retrait dans la pénombre, semblent d’abord bien éloignées de la musique de Schubert. Mais quand, sur une note tenue, surgit l’Allegro initial du Quintette en ut majeur, tout s’éclaire : de façon subreptice, Daniel d’Adamo a dessiné en creux une architecture schubertienne – ce mélange de formes farouches et de narration faussement naïve – et attire désormais l’attention sur la richesse des gestes à l’œuvre chez le compositeur viennois. Parfois irrévérencieuse (en n’hésitant pas à redistribuer les mouvements du Quintette pour les besoins de la dramaturgie), cette interprétation scénographiée se révèle finalement respectueuse et même fidèle à l’esprit de Schubert.
 
Jean-Guillaume Lebrun

(1) Un programme que l'on pourra retrouver dans le cadre de La Belle Saison : la-belle-saison.com

Paris, Musée de l’Orangerie, samedi 6 octobre ; Bouffes du Nord, lundi 8 octobre 2018

Photo © Sylvain Gripoix

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