Journal

Le Pavillon d’or de Toshirō Mayuzumi au Festival Arsmondo de l’Opéra national du Rhin – Une création française passionnante et aboutie – Compte-rendu

Strasbourg se met aux couleurs du Japon grâce à l’Opéra national du Rhin et à la première édition de son Festival Arsmondo. La réputation d’ouverture européenne de la scène alsacienne n’est plus à souligner, mais Eva Kleinitz, sa nouvelle directrice, a souhaité regarder très au-delà en imaginant une manifestation pluridisciplinaire (1) inspirée par des cultures lointaines. Forte de ses liens professionnels avec le Japon et de son profond attachement à ce pays, elle l’a tout naturellement pris pour thème de la 1ère édition d’Arsmondo.

Un choix judicieux, qui aura été l’occasion d’une magnifique découverte avec la création française (en coproduction avec la Tokyo Nikikai Opera Foundation) du Pavillon d’or de Toshirō Mayuzumi (1929-1997), opéra en trois actes inspiré du roman éponyme de Yukio Mishima (livret en allemand co-écrit par le compositeur et Claus H. Henneberg, plus connu comme auteur du texte du Lear d’A. Reimann) dont la création se tint à la Deutsche Oper Berlin le 23 juin 1976 (Der Tempelbrand/L’Incendie du temple est le titre véritable de l’ouvrage).

© Klara Beck - Opéra national du Rhin

Quasi inconnu en France, où la musique japonaise se réduit trop souvent il est vrai au seul nom de Takemitsu (1930-1996), son presque exact contemporain, le compositeur du Pavillon d’or (mais aussi de la Symphonie Nirvana (1958), sa partition la plus célèbre sans doute ; une cantate bouddhiste sur un texte sanskrit pour six solistes, chœur et orchestre) a accompli un parcours singulier. D’abord attiré par la modernité occidentale, il découvre les expérimentations de Pierre Schaeffer dans les studios de l’ORTF au tout début des années 50 et signe des pièces pour piano préparé ou X , Y, Z (1953), première réalisation de musique concrète diffusée au Japon, mais compose aussi de beaucoup de musiques de film (celle pour La Bible de John Huston, c’est lui !). Réaction à un contact trop prononcé avec l’Occident ?, Mayuzumi évolue vers des positions nationalistes, écrit de la musique pour instruments japonais traditionnels (Shōwa Tempyōraku, 1970) et s’engage politiquement dans la « Conférence pour la protection du Japon » dont il deviendra président en 1981.

La naissance du Pavillon d’or se situe dans ce contexte. On imagine le choc qu’a pu éprouver Mayuzumi en apprenant, en novembre 1970, le suicide – spectaculaire – de Mishima (que le musicien avait connu à Paris dès 1952). Se plonger dans la rédaction d’un opéra inspiré de cet auteur constituait une forme de retour aux sources. Mais, bien que l’on relève la présence d’une flûte shakuhachi, l’esthétique du Pavillon d’or ne flirte en aucune manière avec la musique japonaise traditionnelle. La rupture avec l’avant-garde que Mayuzumi avait pu fréquenter – et représenter – à une certaine époque est plutôt l’occasion de retrouver la sève d’une tradition opératique, une veine lyrique – fort méchant mot pour les années septante ... –, ce qui, comme le remarque, Paul Daniel, conduit le compositeur à « adapter son langage musical au son d’un orchestre symphonique occidental et parallèlement, [à] emmener l’orchestre occidental vers son propre monde musical. ».

Paul Daniel © F. Desmesure

Le résultat s’avère en tout cas prenant et totalement convaincant, d’autant que la régie sobre et très mobile d’Amon Miyamoto, avec à ses côtés Boris Kudlicka (décors), Kaspar Glarner (costumes), Felice Ross (lumières – superbes !) et Bartek Macias (vidéos), épouse les mouvements et les contrastes de la partition, « la force de l’écriture dramaturgique, avec ses vastes structures des mouvements symphoniques dans chaque scène », pour reprendre encore les mots de Paul Daniel.

Ce dernier est pour la première fois invité de l’institution lyrique alsacienne et, à la tête des musiciens du Philharmonique de Strasbourg, montre sa compréhension de la force agissante et suggestive ô combien ! de l’orchestre de Mayuzumi (auquel vient souvent s’unir le chœur, essentiel aussi dans le Pavillon) au fil d'une approche très fouillée, attentive aux timbres, aux atmosphères changeantes de scènes brèves que la mise en scène permet d’enchaîner sans le moindre heurt. Avec Sandrine Abello qui a assuré la préparation des forces chorales de l’Opéra du Rhin, admirables, le maestro britannique apporte une contribution décisive à la pleine réussite de la première française du Pavillon d’or.

Simon Bailey (Mizoguchi) et Pavel Danko (double de Mizoguchi jeune) © Klara Beck - Opéra national du Rhin

Mais le plateau n’est pas en reste et Mizoguchi trouve en Simon Bailey un formidable interprète. Celui-ci traduit d’autant mieux la psyché tourmentée du héros, qu’Amon Miyamoto a eu l’idée d’inventer un double muet de son personnage jeune (confié à l’excellent Pavel Danko), trouvaille qu’il exploite avec une grande intelligence dramatique. A la fin du III, on découvre ce double sur le lieu de la crémation du Père – dont la promesse de beauté absolue a tant déçu Mizoguchi – s’enduisant le corps nu de ses cendres... Ce peu avant que le protagoniste principal, juché sur le bord d’un précipice, ne s’apprête à suivre Tsurukawa dans la mort au moment où le rideau tombe.

Père très humain incarné par Yves Saelens, Tsurukawa fragile et touchant de Dominic Große, Kashiwagi âpre, brutal et ambigu de Paul Kaufmann, Dosen simplement parfait de Fumihiko Shimura. Un rôle modeste tout comme ceux du Jeune homme, de la Mère, de la Jeune Fille et d’Uiko, bien tenus par François Almuzara, Michaela Schneider, Makiko Yoshime et Fanny Lustaud respectivement.
Si vous avez la possibilité d’assister à une représentation du Pavillon d’or à Strasbourg ou à Mulhouse, ne la manquez surtout pas !

Alain Cochard

logo signature article
(1) En guise de prélude à la représentation du 24 mars, les auditeurs ont pu assister (salle Ponnelle) à un concert de l’ensemble strasbourgeois Hanatasu miroir (Olivier Morel, percussions, Ayako Okubo, flûte, Thomas Monod, clarinette) et découvrir des ouvrages de Joji Yuasa (Clarinet Solitude), Malika Kishino (Monochromer Garten VII) et Kenji Sakai (né en 1977). On a été particulièrement séduit par le Howling/Whirling de ce dernier, défendu avec une précision et une énergie rythmiques assez bluffantes. La partition offrait une occasion d'entendre la flûte contrebasse - elles ne courent pas les rues !
 

Toshirō Mayuzumi (1929-1997) : Le Pavillon d’or (création française) – Strasbourg, 24 mars ; prochaines représentations les 27, 29, mars & 3 avril à Strasboug, puis les 13 et 15 avril 2018 à Mulhouse (La Filature) / www.concertclassic.com/concert/le-pavillon-dor-de-mayuzumi
Festival Arsmondo (jusqu’au 15 avril) : www.festival-arsmondo.eu/

Photo © Klara Beck – Opéra National du Rhin

Partager par emailImprimer

Derniers articles