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Le Livre vermeil de Montserrat à Notre-Dame – Plénitude et vivacité – Compte-rendu

Sylvain Dieudonné

Le 14 octobre 2008 (1), pour célébrer la venue de l'Escolania de Montserrat, Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris avait déjà partiellement programmé – lors d'un concert exceptionnel réunissant l'illustre chœur de garçons catalan et la Maîtrise de la cathédrale (chœur mixte bien que majoritairement constituée de jeunes filles) – le non moins célèbre Llibre vermell de Montserrat : ce même recueil était au programme du concert du 9 février 2016 à Notre-Dame.
 
Les liens musicaux entre Paris et le Livre vermeil de Montserrat (2), ou plus précisément les seules dix pièces parvenues jusqu'à nous, tiennent à la nature de ce recueil, pour moitié constitué de virelais (forme de chanson française) dans la mouvance de l'Ars nova musicae ou Ars nova française, courant médiéval reposant sur les critères de notation musicale introduits par Philippe de Vitry, évêque de Meaux, et répandus à Paris par le théoricien normand Johannes de Muris. En latin ou en langue vernaculaire, il s'agit de chants destinés à être chantés en dehors des offices, par exemple sur le parvis de la basilique, par les pèlerins venus prier la Vierge de Montserrat : l'élaboration d'un tel recueil, populaire et recourant à des formes simples, répondait à la volonté des autorités de l'abbaye de proposer des chants et danses « convenables et modérés », en accord avec le lieu. Les pièces datent du courant du XIVe siècle et furent compilées à la toute fin de ce même siècle.
 
Si les voix d'enfants n'en sont pas les premières destinataires, leur interprétation par l'Escolania, elle-même fondée dans les dernières années du XIIe siècle, est fermement ancrée dans la tradition de Montserrat, tradition reprise avec bonheur par la Maîtrise Notre-Dame de Paris sous la houlette souple et bienveillante de Sylvain Dieudonné (photo), en charge du chant grégorien et de la musique médiévale à la cathédrale. On imagine sans peine l'immense travail de préparation pour un tel programme – les dix pièces du Livre vermeil, augmentées de quatre des Cantigas de santa Maria, recueil plus ancien également dédié à la Vierge : plus de 400 pages ayant vu le jour durant le règne d'Alphonse X de Castille, dit El Sabio ou Le Sage (1221-1284). Les jeunes chanteurs y témoignèrent d'autant de musicale discipline que d'autonomie, intervenant (hormis la procession initiale et quelques rares moments du concert) « sans chef », Sylvain Dieudonné, lui-même jouant de la vièle à archet, ayant pris place parmi les instrumentistes.
 
Aux voix du Chœur d'enfants et du Jeune Ensemble répondaient celles de Cécile Dalmon (soprano) et de Raphaël Mas (« dessus » et ténor), également percussionniste (tambour, tambours de basque) – avec notamment un unique « duo » : le splendide Imperayritz de la ciutat joyosa ; aux flûtes à bec et traversière (mais aussi à la flûte double), au cornet et à l'intense cornemuse : Solène Riot ; aux vièles à archet : Domitille Vigneron ; au luth médiéval : Olivier Feraud ; à la harpe gothique : Bérangère Sardin – tous constituant l'Ensemble vocal de Notre-Dame de Paris et jouant des répliques d'instruments scrupuleusement inspirées de la pratique médiévale, pour une diversité de couleurs et de nuances dynamiques mettant en lumière, à la fois douce et rayonnante, ce répertoire d'un accès immédiatement séduisant. Un pur moment de plénitude et de sereine vivacité, a fortiori dans les pièces dites a ball redon (à danser et à chanter en faisant la ronde), de poésie et d'authentique simplicité (quelques canons néanmoins, presque des dialogues de « pupitres choraux »), le caractère répétitif, du fait de la vive alternance couplets/refrain sur des rythmes enlevés, allant jusqu'à créer sur la durée un léger sentiment de transe joyeuse : quand danse et chant « obstinés » se font à leur manière oraison, reflet d'une foi et d'une espérance simples mais profondes.
 
Michel Roubinet
 
Paris, Notre-Dame, 9 février 2016
 
(1) www.notredamedeparis.fr/spip.php?article674
 
(2) Répondant, dans la direction géographique et culturelle opposée, aux liens entre Montserrat et l'Ars nova, Les Sacqueboutiers (Ensemble de cuivres anciens de Toulouse) viennent de publier un CD jubilatoire et haut en couleur : Reis Glorios – L'influence de la musique arabe dans la mythologie occitane, album couronné de cinq extraits du Llibre vermell de Montserrat 
les-sacqueboutiers.com/fr/actualites
 
 
Site Internet :
 
Maîtrise Notre-Dame de Paris – Concert du 9 février 2016
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/#!mardi-9-fvrier-2016--20h30/csin
 
 
Photos © DR

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