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Le Coq d'Or et Lady Macbeth de Mzensk à Moscou - Sarcastique modernité - Compte-rendu

Tandis qu'avec American Lulu il signe sa première mise en scène en territoire germanique, Kirill Serebrennikov (photo) a suscité le scandale au Bolchoï avec son Coq d'Or, l'église orthodoxe allant même jusqu'à demander l'interdiction du spectacle. Sans doute dans ce temple longtemps consacré par la tradition, s'attendait-on à un innocent conte pour enfants. Et pourtant à sa création en 1907, Rimsky-Korsakov avait subi les foudres de la censure, la critique du régime y étant à peine voilée – le tsar Dodon ne demande rien d'autre que la moelleuse et somnolente pérennité de son règne, et se sert du coq d'or offert par l'Astrologue comme d'un veilleur prévenant de toute menace. Mais tout don a son dû, et, refusant la contrepartie du pacte, le souverain mourra.

Juste retour des choses au fond, dans ce décor de musée un rien surchargé où l'on ne lésine pas sur l'arrogance stupide du pouvoir. C'est efficacement raconté et plus encore diablement chanté. Mélange tout slave de douceur et d'autorité matamore, Alexander Teliga fait montre d'un ridicule impérial. On reconnaît en Andrey Popov, Astrologue haut perché que l'on avait admiré en Inspecteur de Police dans le Nez aixois, une virtuosité extrême à la sacarstique nasalité. C'est cependant vers la Reine de Shemakhan campée par Venera Gimadieva que les oreilles de l'assistance semblaient fascinées, voyant en la pulpeuse soprano une nouvelle Netrebko. N'oublions pas cependant les sortilèges de la partition révélés par Vassily Sinaiski, à la tête de l'Orchestre du Bolchoï, faisant regretter la trop grande discrétion dans nos salles de ce tardif joyau de Rimsky-Korsakov.

Privé de domicile par la corruption et les susceptibilités des autorités, l'Helikon Opera officie dans un sinistre bâtiment administratif. Mais cela n'entame pas le remarquable travail de cette compagnie née à la chute de l'URSS, emmenée par son charismatique directeur artistique, Dmitry Bertman, qui propose avec sa Lady Macbeth de Mzensk étrennée en 2000 une des plus puissantes propositions que l'on ait vues dans l'ouvrage de Chostakovitch. Au cœur de ce qui ressemble à quelque sombre lieu de perdition, Katerina – captivante Svetlana Sozdateleva – se trouve enfermée dans une cage – celle de la frustration affective et sexuelle où la maintient le despotisme de son beau-père et l'impuissance de son époux falot.

Si la servante se fait un peu trop complice de son viol, la description de la relation sexuelle entre l'héroïne et Sergueï impressionne par sa crudité, jusque dans la débandade post-coïtale aux cuivres – la direction de Valery Kiryanov est un miracle de précision caustique. Rarement a-t-on entendu pareil naturalisme sur un plateau lyrique – la production de Martin Kusej vue à Amsterdam et à Paris quelques années plus tard fait à côté figure d'esthétisation, qui ne manque pas d'ailleurs de s'inspirer du concept de la présente mise en scène. Sans doute la seconde partie de la soirée n'atteint-elle pas ce degré d'intelligence et d'efficacité, mais cela ne retire rien à l'impatience quant à la prochaine tournée en France de l'Helikon – et ils seraient bien inspirés d'emmener cette Lady Macbeth dans leurs bagages.

Gilles Charlassier

Rimsky-Korsakov : Le Coq d'Or – Moscou, Théâtre Bolchoï, Moscou, 27 octobre 2012
Chostakovitch : Lady Macbeth de Mzensk – Moscou, Helikon Opera, 28 octobre 2012

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Photo : www.komische-oper-berlin.com
 

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