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Le chansonnier assassin - Une interview d’Arnaud Marzorati

Le riche territoire de la chanson est devenu un champ d’exploration privilégié pour le baryton Arnaud Marzorati. Après de très beaux enregistrements dédiés à Béranger et à Nadaud (Alpha), il aborde Lacenaire (1803-1836), le poète assassin, dans le cadre du Festival Classique au vert le 19 septembre, en compagnie de l’accordéoniste David Venitucci.

Depuis quelque temps votre activité réserve une place croissante à la chanson, du XIXe siècle en particulier. Quelles sont les raisons de cette nouvelle orientation ?

Arnaud MARZORATI: Ce qui est certain c’est qu’à la base je suis artiste lyrique de par mes études. J’ai fait à la fois le Centre de Musique Baroque de Versailles et le Conservatoire de Paris, ce qui m’a donné la possibilité d’élargir mon répertoire. On me connait sans doute plus dans le domaine baroque, mais je chante aussi Mozart ou le répertoire romantique, et j’ai par ailleurs participé à pas mal de créations contemporaines. Ce qui m’a intéressé par rapport à mon travail d’interprète c’est d’unir mes deux grandes passions : la scène et la littérature du XIXe siècle. J’ai découvert ce que je considère un peu comme une «case manquante » par rapport à notre connaissance du XIXe siècle : l’impact de la chanson, quelle qu’elle soit, sur la vie politique, littéraire, sur tout ce qui peut nous intéresser de près ou de loin au XIXe siècle.

Venons-en au maintenant au parcours que vous avez effectué dans ce répertoire de la chanson…

A.M. : La rencontre avec Béranger s’est produite un peu par hasard : je n’arrêtais pas de voir le nom de ce chansonnier cité, chez Balzac ou chez Chateaubriand, avec lequel il a correspondu. Je me suis rendu compte que Béranger était aussi populaire que Victor Hugo, voire plus, et j’ai donc été amené à m’interroger sur la force du média de la chanson au XIXe siècle. Et puis, étant donné que je fréquente le répertoire baroque, je suis attiré par la grande liberté que l’on a par rapport à la notion de timbre : très souvent sur la chanson on ne trouve que la mélodie et, ensuite l’interprète, selon son niveau et son envie de création, dispose d’une liberté totale tel un démiurge en train de créer son propre univers.

On revendique la notion d’improvisation pour le baroque et on a un peu l’impression que ça s’est arrêté avec la Révolution, c’est en tout cas ce que l’on nous apprend. La chanson montre que la musique du XIXe siècle n’est pas « bloquée », qu’il reste plein de choses à faire, de « possibles » à ouvrir pour l’interprète. Je trouve ça formidable et ça me donne une autre ouverture d’esprit sur la façon d’interpréter une mélodie, une chanson, un lied.

Après les chansons de la Révolution française l’an dernier, c’est Lacenaire, le poète assassin qui inspire votre programme du 19 septembre à Classique au vert…

A.M. Lacenaire(1) est une grande découverte pour moi. On le connaît un peu toutefois ce Lacenaire si l’on aime Prévert et « Les enfants du paradis » : c’est le personnage incarné par Marcel Herrand. C’était déjà là pour moi une image frappante et puis comme avant d’en venir à la chanson, je m’intéressais un peu à ces héros romantiques, en lisant ses mémoires je me suis rendu compte qu’il a écrit des chansons. Il adorait Béranger. Lacenaire est par excellence le héros romantique et il est passionnant pour moi d’interpréter des chansons qui ont été écrites à la Conciergerie quelques jours avant son exécution. C’est un personnage très fort ; une sorte de surréaliste avant le surréalisme : il dit qu’il tue pour protester contre la société – on pense à André Breton lorsqu’il affirme que le meilleur acte surréaliste est de prendre son revolver, sortir dans la rue et tirer dans la foule.

J’interprète ce programme Lacenaire avec David Venitucci, un accordéoniste jazzman, afin de donner une part d’improvisation. J’ai souhaité travailler avec lui, avec un artiste qui appartient à une autre catégorie que la mienne, pour pouvoir m’exprimer sur tout ce fantasme d’un personnage populaire – d’autant que l’accordéon se rattache à cet univers.

Propos recueillis par Alain Cochard, le 25 août 2010

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(1)Une conférence sur Pierre-François Lacenaire de l’historienne Anne-Emmanuelle Demartini, auteur de « L’affaire Lacenaire » (Aubier), aura lieu à 14h au Pavillon 12 (accès libre)

« Le chansonnier assassin »
Arnaud Marzorati (voix), David Venitucci (accordéon)
Festival Classique au vert
Dimanche 19 septembre 2010
Espace Delta- 16h (accès libre)
Parc floral de Paris
www.classiqueauvert.fr

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