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Le Centenaire Proust à Saint-Pierre-de-Chaillot – Concert-lecture pour l’auteur de la Recherche

 

Le 21 novembre 1922, dans l'ancienne église Saint-Pierre-de-Chaillot (plus modeste que l'impressionnante église actuelle, même emplacement), eurent lieu les obsèques de Marcel Proust, décédé le 18 à son domicile tout proche du 44, rue de l'Amiral Hamelin. Un siècle plus tard jour pour jour, à l'initiative de Jacques Ollier, curé de Saint-Pierre-de-Chaillot, la paroisse et la Société des Amis de Marcel Proust (1), présidée par Jérôme Bastianelli, organisaient un concert-lecture – l'église était comble –, autour de thèmes majeurs de l'écrivain particulièrement en situation pour cet hommage.
 
Formidable soirée avec Alix Bénézech et Didier Sandre, sobres et magnifiques diseurs, le titulaire des lieux Samuel Liégeon (photo, également compositeur et peintre) et Thierry Escaich alternant textes – beau livret illustré offert à l'entrée du concert (2) – et musiques écrites ou improvisées. Les Souvenirs d'un temps disparu de Marie Scheikevitch (3) firent tout d'abord le récit – presque un « récit de la Passion » – des derniers jours de Proust ; suivit un commentaire improvisé par Samuel Liégeon sur le très évocateur piano Érard à cordes parallèles de l'église, que Proust aurait pu connaître, tout un monde de douleur lancinante surgissant de sonorités d'un autre temps qui touchent au plus profond.
 
À Proust répondaient deux contemporains. Jean Cocteau (on recommande le Proust contre Cocteau, Grasset, 2013/Arléa, 2019, de Claude Arnaud, biographe de Cocteau) : La voix de Marcel Proust (NRF, 1er janvier 1923), puis Barcarolle n°4 de Fauré par un Samuel Liégeon inspiré ; François Mauriac : Sur la tombe de Marcel Proust (La Revue Hebdomadaire, 2 décembre 1922 – repris dans Du côté de chez Proust, La Table ronde, 1947), puis Pavane pour une infante défunte de Ravel, toujours par Samuel Liégeon au piano.
 

Thierry Escaich © Louis Nespoulos
 
La mort selon Proust prit la forme d'une triple évocation : mort de Bergotte dans La prisonnière, Thierry Escaich improvisant sur le Liebestod du Tristan de Wagner ; « l'être que je serai après la mort n'a pas plus de raisons de se souvenir de l'homme que je suis depuis ma naissance que ce dernier ne se souvient de ce que j'ai été avant elle » (Sodome et Gomorrhe), et Première Arabesque de Debussy par Samuel Liégeon en tribune, transcrite par Léon Roques (1839-1923), organiste à Saint-Pierre-de-Chaillot auquel doit « Douze pièces pour orgue de Debussy » (Durand, 1911) ; mort de Swann dans La prisonnière – où il est question du Cercle de la rue Royale : le tableau de James Tissot est actuellement à l'exposition de la BnF Marcel Proust, La fabrique de l'œuvre (4) –, puis improvisation de Thierry Escaich sur l'Allegretto de la Septième Symphonie de Beethoven, « marche funèbre enlevée », mordante.
 
Le thème de la mémoire involontaire ne pouvait manquer : épisode de la madeleine (Du côté de chez Swann), suivi du Prélude [fugue et variation] de Franck par Thierry Escaich à l'orgue. À l'évocation de la continuité de l'être, « la résurrection au réveil » (Le côté de Guermantes), fit écho un commentaire improvisé d'Escaich. La Sonate de Vinteuil – il aurait fallu un archet pour la Première de Saint-Saëns ou de Fauré, celle de Franck (Enesco avait impressionné Proust), à défaut de celle de Reynaldo Hahn (1926, donc postérieure à la mort de Proust) – fut suggérée via un aspect spécifique de la mémoire (À l'ombre des jeunes filles en fleurs) : le phénomène de reconnaissance qui, dès la seconde écoute, permet d'approfondir la connaissance d'une œuvre. Thierry Escaich au piano et Samuel Liégeon à l'orgue improvisèrent un fervent dialogue fait de réminiscences, à rebours du programme, des œuvres précédemment entendues.
 
Michel Roubinet

 Paris, église Saint-Pierre-de-Chaillot, 21 novembre 2022
 
(1) https://amisdeproust.fr/fr/
 
(2) Programme de la soirée
http://amisdeproust.fr/images/DocsPdf/ProgrammeConcertProust21nov.pdf
 
(3) France Culture : Entretiens avec Marie Scheikevitch – Portraits et souvenirs : Marcel Proust (1960)
bit.ly/3u2CFSI
 
(4www.bnf.fr/fr/agenda/marcel-proust

Photo © Wlad Simitch

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