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Le Béjart Ballet Lausanne revient - 3 questions à Gil Roman, son directeur

Trouble, troublé, troublant, Gil Roman se décline: étrange danseur, à l’éclat du diamant noir, étrange personnage, à la fois touchant et irritant par sa sensibilité écorchée, son nihilisme, sa difficulté d’être. Héritier spirituel de Béjart, il est vrai qu’il a eu fort à faire à Lausanne. Ce n’est guère aisé de redonner une raison de vivre à un groupe quand son âme s’en est allée. Mais Roman, opiniâtrement, après avoir été un des interprètes majeurs du maître, s’y emploie avec courage et talent, mariant sa propre activité de chorégraphe à la survie du répertoire. Le deuil est fait, l’après Béjart commence ; Gil Roman s’en explique tandis que le Béjart Ballet Lausanne investit la scène du Palais des Congrès du 3 au 7 avril.

Quel est l’état de la compagnie à ce jour, plus de quatre ans après la mort de Béjart ?

Gil ROMAN : Elle est dans une forme superbe, enthousiaste et passionnée. Les danseurs sont tout à fait armés pour réinventer l’héritage de Maurice Béjart, et se sentent disponibles pour ce que je leur demande, à la fois le respect des règles classiques et une danse plus lâchée, plus libre. Nombreuses sont les personnalités attachantes qui stimulent et cimentent la compagnie, à commencer par Julien Favreau, Elisabeth Ros, Katerina Shalkina, le jeune colombien Oscar Chacon, qui incarne Dionysos, parmi quelques prodiges japonais et autres merveilles… Pour ces 25 ans du Béjart Ballet Lausanne, je suis heureux de pouvoir les emmener à travers le monde pour une grande tournée anniversaire.

Comment définissez-vous votre répertoire ?

G.R. : Là est la difficulté, car il me faut faire le tri dans une œuvre énorme, et inégale bien évidemment. Mais en même temps, il faut admettre que l’interprète est à la base de tout, c’est lui qui réinvente et peu redonner de la crédibilité à une forme que l’on croyait obsolète. La palette de Béjart est immense mais des erreurs d’interprétation ont été commises, avec des stars de la danse mondiale, pour ses plus fameux ballets. Je dois donc veiller à garder la lettre tout en décryptant ce qui ne parle plus. Ainsi une œuvre comme Messe pour le temps présent fut emblématique de son temps. Elle ne parle plus pour le nôtre. Mais je m’attache à redonner des bijoux tels que Serait-ce la mort, ou Cantate 51. En ce qui concerne le programme parisien, j’ai panaché: Béjart y est représenté par une de ses pièces incontournables, le Boléro, et par le superbe Dionysos, créé à Milan en 1984, que les français n’ont jamais vu. Béjart le remania sous forme de Suite, et c’est celle-ci qui est donnée. Etant de la distribution originale, j’ai pu reconstituer ce ballet jubilatoire.

Avec quelle identité, puisque vous présentez également votre Aria, créée en 2008 ?

G. R. : Oui car je ne suis pas simplement le prêtre du Temple Béjart, ce qui serait préjudiciable à la survie de la compagnie. J’ai toujours chorégraphié, même si chaque geste créateur est pour moi une torture, et que jusqu’au bout, je reste dans le flou avant que mes pièces ne prennent forme, grâce aux danseurs. C’est un drame entre moi et moi, un déchirement entre instinct et raison. Cet Aria l’illustre, puisqu’il oppose Thésée au Minotaure, qui finalement ne font qu’un. Je vais continuer bien sûr, avec pour obsession de ne pas faire ce que je connais. Me définir ? Sans doute comme quelqu’un d’obsédé par l’abstraction lyrique, en évitant les textes dans les ballets, solution de facilité. Chez Béjart, des pièces comme Webern opus 5 et le Marteau sans maître me paraissent idéales pour illustrer cette recherche.

Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 30 janvier 2012

Béjart Ballet Lausanne – Paris - Palais des Congrès, du 3 au 7 avril 2012 Rens. : www.viparis.com/Viparis/salon-paris/spectacle/BEJART-BALLET-LAUSANNE/fr/...

Site du Béjart Ballet Lausanne : www.bejart.ch/fr

Maurice Béjart en images
Béjart ne souhaitait pas pérenniser ses ballets, le geste ayant fui sitôt qu’accompli. Les documents vidéos sont donc rares, eu égard à l’importance de son œuvre. Ceux rassemblés par la Cinémathèque en un week-end d’hommage n’en sont que plus précieux : outre le beau film d’Arantxa Aguirre, de 2009, Le Cœur et le Courage, qui met à nu le travail de Gil Roman et sa personnalité étrange, on verra la Symphonie pour un Homme seul, avec Béjart lui-même, le filmBéjart, de François Weyergans, Le Sacre du Printemps, tourné en 1970, le Boléro à ses débuts en 1961, avant que Jorge Donn n’en ait fait un mythe, Life, de 1979 et deux pièces très datées, mais émouvantes tant elles racontent leur temps, Messe pour le Temps Présent (1971), et le psychédélique Baudelaire (1975).

« Maurice Béjart en images » – Paris, Cinémathèque de la Danse, 30 et 31 mars, 1er avril 2012 Rens. : www.lacinemathequedeladanse.com

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Photo : Francette Levieu
 

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