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La Sylphide au Palais Garnier - Les ailes aux talons - Compte-rendu

Avec l’arrivée de La Sylphide sur les scènes européennes en 1832, l’immatériel, l’inabouti opéraient une prise de pouvoir en douceur, donnant au rêve romantique sa plus exquise forme, et célébrant la vérité orphique chantée par Goethe. Sur le livret de Nourrit, une silhouette ailée remplaçait les joies villageoises des ballets révolutionnaires, les bacchantes sensuelles déchaînées par l’Empire. Enfin, la danse volait, et une synthèse subtile s’opérait entre idéal et technique, le chausson nouveau venu, dur soutien imposant de grandes souffrances aux orteils, devenant ici support d’envol vers des sphères célestes, tandis que les bras de la danseuse se fondaient avec ses ailes, niant la chute des corps. 1832, donc, marqua la plus grande date de l’histoire de la danse, enfin entrée au Panthéon des arts suprêmes. Puis le ballet s’égara dans les contraintes du siècle, tandis que sa légendaire créatrice, Marie Taglioni, retombait peu à peu sur terre, devenant notamment inspectrice de la danse à l’Opéra de Paris à partir de 1859.

Il a fallu un fou de danse romantique, un malade de tutus et de grâces éthérées, Pierre Lacotte, pour que le ballet revive, porté par d’inlassables recherches pour grapiller ici et là tout ce qui pouvait le ramener à cette illusoire tracé romantique. Ce fut le triomphe de son film, en 1971, avec sa femme, l’idéale Ghislaine Thesmar et Michael Denard, un trop beau James, puis l’entrée du ballet à l’Opéra en 1972, et enfin une seconde carrière mondiale pour cette Sylphide à laquelle les plus légères ballerines ont prêté leur grâce. Avec des tonalités différentes qui avivent le rêve, ainsi la sensualité fruitée d’Aurélie Dupond, aux antipodes de la perfection de lignes d’Elisabeth Platel ou de l’innocence d’Elisabeth Maurin, la génération précédente.

Car l’Opéra reprend régulièrement ce chef-d’œuvre, et particulièrement cette saison où il fête les 80 ans de Pierre Lacotte, toujours en quête de ses ailes idéales. Il semble qu’il les ait trouvées avec Evguenia Obraztsova, jeune étoile du Bolchoï, dont les pieds menus ont déjà abondamment servi ses chorégraphies romantiques, notamment Ondine. On découvre là une Sylphide poupée, au sourire enjôleur, au mignon visage mutin, et l’on admire surtout la fabuleuse coordination des pieds et des bras, comme soulevés par un vent léger, ce zéphyr que chantaient les poètes du XIXe siècle. En alternance avec elle, la nouvelle école du ballet français, les Gilbert ou Albisson, plus robustes. Mais on ne peut que remarquer combien la douceur du bras russe, succédant à la tradition italienne-française de Taglioni et Grisi, permet de mieux ressentir la transcendance du propos.

A côté de cette craquante Sylphide, on a admiré sans réserve la perfection de la batterie et des sauts de Mathias Heymann, idéal pour le rôle, et la vigueur sympathique de Muriel Zusperreguy, en fiancée bien terrestre. Malgré des déceptions de-ci de-là dans le corps de ballet, ils ont fait du spectacle, porté par la direction élégante de Philippe Hui, la recréation fidèle du « Pays de chimères où l’on marche sans chaussures sur des mousses unies comme des tapis de velours(Liszt) ». Et incontestablement, l’adorable Obraztsova fait oublier la dureté du sol.

Jacqueline Thuilleux

Paris, Palais Garnier, le 2 juillet, prochaines représentations les 4, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 15 juillet 2013.

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Photo : Anne Deniau / Opéra national de Paris
 

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