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La Flûte enchantée à l’Opéra national du Rhin - Une interrogation philosophique - Compte-rendu

Concentré de la pensée et de l’art de Mozart, La Flûte enchantée laisse aux interprètes une marge de liberté dont ils doivent user à bon escient. A L’Opéra national du Rhin, la mise en scène de Mariame Clément ne laisse jamais indifférent. Située dans les décors imaginatifs de Julia Hansen (qui réalise aussi les costumes), elle propose une réflexion sur la place de l’Homme face à la Science. L’univers naturel de fougères et d’herbes à l’acte I symbolise le monde après un cataclysme, à l’instar du film Stalker du réalisateur russe Andreï Tarkovski. Le cabinet de curiosités transformé en bunker au deuxième acte est un huis-clos fourmillant de scientifiques affairés, tandis que se déroulent les épreuves initiatiques.

Cette vision décapante est d’une logique imparable et l’humour n’en est jamais absent (toboggan propulsant les personnages au moment de l’initiation, récitatifs volontairement écourtés et prononcés parfois simultanément en français, allemand, anglais). Au-delà de la simple réflexion dichotomique sur le Bien ou le Mal, l’univers des Lumières et celui des puissances occultes, la vision de Mariame Clément transgresse à l’occasion le livret et la signification de l’œuvre (la scène finale voit Sarastro et la Reine de la nuit s’embrasser ardemment comme des vedettes de cinéma). Des vidéos très suggestives de Momme Hinrichs et Torge Møller, à l’image du serpent géant enfermé dans une bulle au centre de cataclysmes au début de l’acte I, ou l’efficacité des lumières de Marion Hewlett, contribuent à donner vie et sens à ce spectacle qui manque parfois de simplicité mozartienne.

La direction du chef autrichien Theodor Guschlbauer (un fin connaisseur de La Flûte qu’il dirigea pour la première fois en 1970 à Lyon) est alerte (dès l’Ouverture) mais sans fluidité, voire sèche et d’une rythmicité sans faille. L’Orchestre Symphonique de Mulhouse essaie de respirer sous cette baguette précise, peu portée à la poésie. Le plateau vocal, homogène dans l’ensemble, ne comporte pas de fortes personnalités. Le Papageno de Paul Armin Edelmann tire son épingle du jeu par le naturel de sa composition qui rappelle parfois les meilleurs moments d’Hermann Prey, tandis que le Tamino de Sébastien Droy (légèrement souffrant) à l’émission assez tendue, se révèle capable d’émotion et de présence. Face à lui, la Pamina d’Olga Pasichnyk au chant un peu lourd pour le rôle mais à la véritable autorité dramatique, réussit à convaincre malgré tout. La Reine de la nuit de Susanne Elmark impressionne plus par ses atours que par ses performances crispées de soprano-colorature. En revanche, le Monostatos d’Adrian Thompson, acteur né, fait penser par ses mimiques et son jeu théâtral à Mime dans la Tétralogie dont il emprunte même le Sprechgesang.

On aurait préféré que l’Orateur de Raimund Nolte, d’une belle profondeur, remplaçât le Sarastro de Bálint Szabó, limité dans les graves et à la ligne de chant incertaine. La Papagena de Gudrun Sidonie Otto, fait preuve d’un charme immédiat et d’un véritable don de comédienne. Enfin, la remarquable tenue vocale des Trois Enfants, l’agilité et la souplesse des Trois Dames, l’homogénéité des Chœurs de l’Opéra national du Rhin, apportent une note globalement positive à ce spectacle où la profondeur de la réflexion l’emporte sur le caractère féérique.

Michel Le Naour

Strasbourg, Opéra national du Rhin, 9 décembre 2012.

Prochaines représentations à Strasbourg les 18, 20 et 23 décembre 2012 ; à Mulhouse les 6, 8 et 10 janvier ; à Colmar le 20 janvier 2013.

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Photo : Alain Kaiser
 

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