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La Chronique d'Emilie Munera - Et bien, chantez maintenant !

 

J’ai eu l’immense chance, il y a quelques années, d'assister à la célèbre “Last Night of the Proms” à Londres. Chaque année, le concert (qui vient clore une manifestation longue de huit semaines), est une grande fête retransmise à la télévision et à la radio : le programme de la première partie change chaque année. Celui de la seconde reste en revanche identique : le chef, l'orchestre et le choeur entonnent de grands hymnes britanniques, repris par les spectateurs du Royal Albert Hall plein à craquer, mais aussi par le public réuni dans les grands parcs du pays où le concert est retransmis sur écran géant : Land of Hope and Glory, Rule Britannia, Jérusalem, Auld Lang Syne ; les oeuvres sont chantés main sur le coeur et les drapeaux brandis à bout de bras. Au cœur de cette chorale improvisée, on est rapidement submergé par l’émotion. Une expérience magique qui m’a, à l’époque, immédiatement interrogée : si on réunissait 8000 personnes dans une salle en France et qu’elles devaient unir leurs voix … que chanteraient-elles ? Aucune idée ne m’est apparue. On apprend bien des comptines à l’école, mais aucune chanson ne pourrait rassembler tout un public. Comparer la France et la Grande-Bretagne n’est évidemment pas juste. Cette dernière, tout comme l’Allemagne et les pays de Nord, s’inscrit dans une solide et ancienne tradition chorale. Chaque université britannique possède sa propre chorale et en décembre, le public ne rate pas les fameux concerts de Christmas Carols. La tradition n’est pas la même en France, pays où la pratique du chant choral a peu à peu décliné après la Révolution. 
 

Accentus © Julien Benhamou

Et pourtant… depuis plusieurs décennies, notre terre regorge de chœurs plus talentueux les uns que les autres. L’ensemble Accentus, qui fête cette année ses 30 ans, fait figure de pionnier. Fondé par Laurence Equilbey, Accentus a apporté une nouvelle vision du chœur de chambre. Et pourtant, quel énorme défi que de créer un coeur à cette époque, dans un pays comme le nôtre. Accentus nous faisait non seulement redécouvrir le répertoire a cappella des XIXe et XXe siècles, mais s'aventurait également en territoire contemporain en collaborant avec des compositeurs majeurs. L’ensemble ouvrait ainsi la voie à l’émergence de nombreux chœurs de chambre.
 

Les éléments dans Fortunio d'André Messager (m.e.s. Denis Podalydès) en 2009 à l'Opéra-Comique © Claire Besse

Cinq ans plus tard, à Toulouse, Les éléments de Joël Suhubiette lui emboîtèrent le pas, tout comme Sequenza 9.3 de Catherine Simonpietri. En peu de temps, la France voyait naître trois formations chorales de premier plan. Trois ensembles récompensés par le Prix Liliane-Bettencourt pour le chant choral, qui distingue depuis 1990 les maîtrises et chœurs français. Pouvaient-ils imaginer qu’ils ouvriraient la voie à toute une nouvelle génération d’ensembles qui allaient s’aventurer encore plus loin ?

 

Simon-Pierre Bestion à la tête de La Tempête © Laurent Bugnet
 

Au cours des années 2000, les formations n’ont cessé de se multiplier, mêlant leur chant au théâtre, à la danse ou à la vidéo. La Tempête de Simon-Pierre Bestion (Prix Liliane Bettencourt 2022) s’est engagée sur des chemins ambitieux et créatifs : chaque projet est une expérience musicale et sensorielle ; chaque programme est pensé comme un récit où les grandes pièces du répertoire côtoient le populaire ou la création. Le format du concert est également repensé, devenant un chemin poétique dans l’histoire du chant choral. L’ensemble Aedes de Mathieu Romano, les Cris de Paris de Geoffroy Jourdain ou Les Métaboles de Léo Warynski (depuis peu en résidence à la Cité de la Voix de Vézelay) partagent cet esprit d’ouverture, de recherche et d’exploration. Chacun à sa manière, ils revisitent le répertoire, ne s’imposant aucune limite de style ou d’époque, ne s’interdisant aucune incursion dans le répertoire traditionnel, la chanson française et même la pop. Les chœurs de chambre français ont réussi en à peine trente ans, à créer leur propre répertoire, leur propre tradition et écrivent depuis leur propre histoire. 

Emilie Munera

 

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