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Il Segreto di Susanna/La Voix humaine à l’Opéra Comique - Doublé handicapé - Compte-rendu

Très heureuse idée d’ouvrir la soirée par Il Segreto di Susanna, piécette virevoltante qu’Ermanno Wolf-Ferrari voulut aussi légère, aussi preste, aussi délicieusement décalée, dans son sujet tabagique qui sert de dénonciation de la jalousie masculine, mais aussi et surtout dans sa musique qui parodie jusque dans la nostalgie le bel canto bellinien en l’assortissant d’un art du parlando en musique qui est la signature majeure de son auteur. Quel compositeur, comment peut-on ne quasiment jamais monter : I Quattro Rusteghi, Le Donne Curiose, I Gioielli della Madonna, La vedova scaltra, Sly, tous de purs bijoux de théâtre et de musique !

Oui mais alors, quitte à dévoiler à nouveau ce Secret de Suzanne, le plus connu et le moins exigeant des ouvrages du compositeur germano-venitien, il lui fallait un autre chef. Pascal Rophé a le bras bien lourd et fait littéralement gueuler l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, forçant ses chanteurs à hurler. Au bout de dix minutes on n’en peut plus, on les plaint d’être en des mains si peu attentives à leur art.

Car côté chanteurs, de l’art il y en a à revendre, du Gil finement brossé, jusque dans la charge comique de Vittorio Prato, baryton mordant à la prestance physique irrésistible, à la Susanne incroyable de finesse d’Anna Caterina Antonacci, peut-être le plus beau couple à s’être approprié l’œuvre. La régie de Ludovic Lagarde est sans histoire, qui transpose cette intrigue de boudoir dans un appartement moderne et tout blanc – les éclairages le coloreront selon l’évolution des sentiments des personnages – où les deux chanteurs et leur valet Sante dont les cigarettes, obviously, ne contiennent pas que du tabac (parfait Bruno Danjoux qui sait chorégraphier jusqu’à son balais), se trouvent singulièrement à l’étroit.

Lorsque le rideau se lève sur La Voix humaine, on retrouve le même décor qui au bout de quelques minutes tourne, révélant après le salon la chambre (où trône un immense frigidaire rempli exclusivement de bouteilles d’eau dont la symbolique nous échappe toujours), puis la salle de bain grevée par une baignoire qu’Elle laissera se remplir sans se soucier de la voir déborder, plus là du tout : illustration d’un probable suicide intérieur. Donc le plateau tournait ! Mais pourquoi ne pas en avoir fait profiter l’action du Segreto qui exige que les personnages se cachent, reviennent, repartent ? Mystère.

Ce sera donc La Voix humaine et son absolu plan fixe musical qui profiteront de ce luxe de promenades, d’allers et retours, de diversions, un contre sens dont la performance d’Anna Caterina Antonacci finit par se ressentir. La chanteuse est toujours aussi souveraine, le français admirable, la diversité des styles vocaux employés par Poulenc qui passe du récitatif au chant ou à la parole scrupuleusement respectée. Mais à force d’aller et venir la concentration nécessaire manque, et la composition savante finit par ne plus tout à fait masquer un relatif déficit de pathos. D’où vient qu’aux saluts Anna Caterina Antonacci paraisse si émue – on croit lui voir quelques larmes – et qu’elle nous ait si peu ému ? On repartait avec cette question sans réponse, incriminant une fois de plus un orchestre glacial tout en sonorités laides mais qui cette fois n’était pas le seul responsable d’un certain malaise.

Jean-Charles Hoffelé

Wolf-Ferrari : Il Segreto di Susanna / Poulenc : La Voix humaine, Paris, Opéra Comique, 20 mars, prochaines représentations 23, 26 29 mars 2013.

www .opera-comique.com

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Photo : DR
 

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