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Portrait baroque - Gaspare Spontini (1774-1851) - De l’opera buffa au drame musical

Grâce à Maria Callas, qui interpréta La Vestale à La Scala en 1954, le nom de Spontini est connu. Mais on ignore souvent le rôle joué par un acteur important de la vie lyrique européenne de la première moitié du siècle romantique. Portrait d’un créateur étonnant, à la charnière de deux époques, dont Hector Berlioz revendiqua « l’énergique influence ».

Fils de cordonnier, issu d’une famille de cinq enfants, Gaspare Spontini (né le 14 novembre 1774 à Maiolati, près d’Ancône) est d’abord destiné à la carrière ecclésiastique. Expédié au séminaire de Jesi, il y manifeste un amour si exclusif pour la musique que l’on se résout à l’inscrire, en 1793, dans l’un des quatre prestigieux conservatoires napolitains, celui de la Pietà dei Turchini (connu aujourd’hui pour avoir donné son nom à un célèbre ensemble baroque).

Bien que son troisième prénom soit « Pacifico », Spontini y fait montre d’un caractère difficile, qui l’empêche de terminer sa formation napolitaine. Ayant inopinément quitté le Conservatoire, il parvient pourtant, dès 1796, à faire représenter à Rome son premier opéra, Li Puntigli delle donne (dont une intégrale dirigée par Alberto Zedda a été enregistrée chez Dynamic), où se perçoit encore l’influence de Paisiello et Cimarosa.

Spontini prétendit par la suite avoir reçu l’enseignement de ce dernier, ce que rien ne prouve. En revanche, il se substitue effectivement à Cimarosa en tant que maître de chapelle suppléant auprès de la cour napolitaine des Bourbons, temporairement réfugiée à Palerme pour fuir l’avance française. Jusqu’en 1802, il produit une douzaine d’ouvrages scéniques, essentiellement bouffes (à l’exception du dramma Teseo riconosciuto, 1798, à nouveau gravé par Zedda, chez Bongiovanni) dans diverses villes italiennes - Rome, Florence, Naples, Venise -, dont la plupart des partitions ont hélas disparu.

A la conquête de Paris

Mais, naturellement ambitieux, le jeune homme comprend que le centre européen de la vie musicale (et politique, à la veille de l’empire) s’est déplacé à Paris, ville dont il entreprend la conquête dès 1803. Spontini débute en donnant des leçons de musique, ce qui l’amène à fréquenter les salons huppés, pour lesquels il écrit d’aimables mélodies et ensembles vocaux, et à rencontrer maintes personnalités influentes : le musicographe François-Joseph Fétis, le facteur de piano Erard (dont il épousera la fille), Madame de Staël, Julie Récamier, et jusqu’à celle qui va devenir l’impératrice Joséphine.

Parallèlement, il fait entendre sa Finta Filosofa au Théâtre italien et se rode dans le genre de l’opéra comique, en donnant successivement au Théâtre Feydeau La Petite Maison (1804), Milton (1804, sur le thème de l’« artiste maudit » que privilégieront les romantiques) et Julie ou le Pot de fleurs (1805). Poussant son avantage, Spontini compose encore une cantate à la gloire de Napoléon, vainqueur à Austerlitz (L’eccelsa gara, 1806) et, enfin, un vaudeville pour la fête de l’empereur (Tout le monde a tort, 1806), interprété par les propres sœurs de l’intéressé.

Triomphe pour La Vestale

Nommé compositeur de la chambre de l’impératrice en 1805, Spontini s’attaque alors à une véritable tragédie lyrique, sur un livret de Victor-Joseph Etienne de Jouy (aussi librettiste de Milton), d’abord refusé par Méhul et Boieldieu : La Vestale. Créé à l’Opéra le 15 décembre 1807, l’ouvrage rencontre un succès foudroyant, dû non seulement à son esthétique néo-classique, qui flatte le décorum « romain » de l’Empire, à ses allusions aux triomphes napoléoniens (la Marche de Licinius) et à l’incarnation inspirée du rôle-titre par Madame Branchu, mais aussi à la réinterprétation du grand style gluckiste menée par un compositeur habile à concilier déclamation, bel canto italien, rôle atmosphérique de l’orchestre et nouveauté de la forme (on voit se dessiner le couple cavatine-cabalette de la génération suivante, tandis que les tableaux obligés du futur « grand opéra » français – ballets, processions, choeurs, invocations – se fondent dans le drame intime). La Vestale connaît près de cent représentations consécutives et se voit sacrée « meilleur ouvrage lyrique de la décennie » par l’Institut de France.

Nouveaux ouvrages, moindres succès

Dans la foulée, l’on commande à Spontini un nouveau titre censé flatter l’image de l’empereur, à la veille de la Guerre d’Espagne : Fernand Cortez ou La Conquête du Mexique bénéficie ainsi de la plus riche dotation jamais accordée à un opéra (cent quatre vingt-mille francs) et de moyens scéniques grandioses (une charge de cavalerie, mobilisant dix-sept véritables chevaux, doit orner l’Acte II). Si Napoléon assiste en personne à la création, le 28 novembre 1809, l’ouvrage, dont le message politique paraît ambigu, ne convainc cependant pas autant que La Vestale – Spontini en produira trois autres versions au cours des vingt années suivantes (la seconde a été enregistrée par Jean-Paul Pénin, chez Accord).

Nommé directeur de la Musique au Théâtre de l’impératrice (Odéon) en 1810, Spontini en profite pour faire mieux connaître à la France ses idoles, Mozart et Cimarosa. Marié l’année suivante à Marie-Catherine Céleste Erard, installé au château de La Muette, il subit une brève désaffection après la chute de l’empire. Mais ayant fait allégeance à Louis XVIII avec l’opéra Pélage ou Le Roi de la paix (1814), il est rétabli dans ses fonctions et obtient même la nationalité française (1817), ainsi que la médaille de Chevalier de la Légion d’honneur et une pension royale (1818). Malgré tout, son nouvel opéra, Olympie, n’obtient guère de succès lors de sa création à l’Opéra, en décembre 1819 : tiré de Voltaire, le livret en paraît désuet, et la musique, grandiose et complexe, trop sévère (Gerd Albrecht a enregistré l’œuvre chez Orfeo).

Nouveau départ à Berlin

Cet échec décide Spontini à accepter l’invitation faite de longue date par le roi de Prusse et, dès 1820, il quitte Paris pour Berlin, où il est fait kappelmeister de Frédéric Guillaume III. C’est le début d’une troisième carrière - après ses conquêtes italienne et française -, le musicien jouissant désormais d’une position officielle, éminente, qui lui laisse le loisir de peaufiner ses compositions (Lalla Rookh, 1821 ; Nurmahal, 1822 ; Alcidor, 1825), dont aucune, cependant, ne soulève l’enthousiasme du public. Il produit aussi des versions révisées de ses pièces antérieures : Olympie, revue par E.T.A Hoffmann lui-même, renaît en 1821 (son finale se parant désormais d’éléphants vivants !), Cortez en 1824.

Son dernier opéra, Agnes von Hohenstaufen (1829), connaît aussi trois moutures successives, témoignant du perfectionnisme de son auteur qui, avec cette trame romantique se déroulant dans l’Allemagne du XII° siècle, inaugure la vogue des sujets médiévaux traitant de la fidélité conjugale, bientôt adoptés par Weber (Euryanthe), Schumann (Genoveva) et Wagner (Lohengrin).

Mais Spontini, dont le caractère ne s’est pas assoupli avec l’âge, se voit en butte aux attaques de plus en plus virulentes des critiques novateurs. Après le décès de son royal protecteur, en 1840, il est même accusé de lèse-majesté et expulsé de l’opéra au cours d’une représentation de Don Giovanni ! En 1842, fulminant contre Meyerbeer, qu’il accuse d’avoir brigué sa succession, il quitte l’Allemagne pour les Etats pontificaux, où le pape lui décerne le titre de Comte de San Andrea et une pension (1845).

Il s’éteint le 14 janvier 1851 dans sa ville natale qui, en 1939, lui rend hommage en se baptisant désormais « Maiolati Spontini ». Depuis 2010, la cité de Jesi, quant à elle, s’applique à faire redécouvrir son répertoire, via l’action de la Fondation Pergolesi Spontini(1).

Bien que ses ouvrages soient rarement donnés de nos jours - à l’exception de La Vestale, notamment exhumée par la production de Visconti avec Maria Callas, à la Scala, en 1954 - son importance historique se doit d’être soulignée : assurant une étonnante transition entre la dernière école napolitaine et le drame wagnérien, il fut célébré par Berlioz, et influença des plumes aussi variées que celles de Weber, Meyerbeer et Bellini.

Il fut aussi l’un des premiers musiciens à consacrer plusieurs années à la composition d’un seul opéra, conçu comme « œuvre d’art totale », et l’un des premiers chefs d’orchestre à utiliser une baguette...

Olivier Rouvière

(1) www.fondazionepergolesispontini.com/fps/

Spontini : La Vestale
Les 15, 18, 20, 23, 25, 28 octobre 2013 – 19h 30 (17h le le 20)
Paris – Théâtre des Champs-Elysées

Photo : Olivier Roller

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