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Festival Le Paris des Orgues 2013 - Place aux jeunes ! - Compte-rendu

Après un Marathon des orgues couronné de succès lors de la Journée mondiale de l'orgue du 5 mai 2013 – près de 300 personnes dans chacun des lieux visités : Oratoire du Louvre, Saint-Germain-l'Auxerrois, Madeleine, Saint-Augustin, avec présentation des instruments et audition par les titulaires –, Le Paris des Orgues propose son Festival 2013 : neuf rendez-vous entre le 14 mai et le 10 juin. Concoctée par Benjamin François, directeur artistique du Festival et producteur à France Musique (Organo pleno, Le jardin des critiques), cette programmation 2013 fait la part belle aux jeunes talents, tous déjà confirmés et couronnés de lauriers lors de concours nationaux et internationaux, soit six récitals. Trois autres concerts, de nature on ne peut plus différente, ont été confiés à des maîtres réputés. Ainsi le Festival s'est-il ouvert le 14 mai sur un ciné-concert à la cathédrale américaine, Thierry Escaich improvisant sur le film de Murnau L'Aurore (1927). Le 17, à Saint-Sulpice, était célébré le centenaire de la création de l'Hôpital de Lambaréné (Gabon) : hommage à Albert Schweizer, médecin, humaniste et organiste, par Daniel Roth, Vincent Warnier, Daniel Leininger et Pierre-François Dub-Attenti, concert précédé d'une conférence de Jean-Paul Sorg à la Mairie du 6ème Arrondissement : Albert Schweitzer, un musicien à Paris (où il fut le disciple de Widor). Le jeudi 23 mai aura lieu à Saint-Étienne-du-Mont un concert-lecture en hommage à Marie-Claire Alain (cf. la Une du 27 février 2013) et Jehan Alain, avec à l'orgue Jean-Baptiste Robin, l'un des quatre titulaires de l'orgue de la chapelle du château de Versailles.

L'idée de Benjamin François fut de donner à six jeunes musiciens carte blanche pour le choix de l'instrument et du programme. Seule obligation : inclure une œuvre récente, réaffirmation de l'ancrage contemporain du Festival. Pour Thomas Ospital (photo) – Premier Prix au Concours 2012 de Saragosse, Prix Duruflé et Prix du public au Concours de Chartres de la même année, organiste de Ciboure où l'on se prépare à accueillir, fin 2013, un grand orgue d'inspiration baroque hollandaise commandé au facteur belge Dominique Thomas –, ce fut un cri du cœur : la Madeleine !, haut lieu du Paris musical avec, notamment, Saint-Saëns et Fauré. Ce dernier n'ayant laissé aucune grande page pour orgue, Thomas Ospital ouvrit son programme, magnifiquement pensé, avec la Suite Pelléas et Mélisande transcrite par Louis Robilliard. Occasion d'entendre les mélanges les plus subtils et raffinés qu'autorise le Cavaillé-Coll de la Madeleine, en grande forme et utilisé avec un art confondant – François-Henri Houbart, titulaire de l'instrument, en fut impressionné –, sonorités magnifiées par une aisance de jeu sans affectation, sous-tendue d'une lumineuse intériorité et d'une maîtrise respirant la simplicité. La Sicilienne fut naturellement un pur enchantement, idéal repoussoir à l'intense et poignante, toujours avec sobriété, Mort de Mélisande : tout l'esprit fauréen.

De Louis Vierne suivit le Final de la Quatrième Symphonie, page admirable d'humanité tourmentée, âpre et ardue, restituée avec une énergie de chaque instant, mais sans violence et avec décence, saisissante. Pour évoquer la musique d'aujourd'hui, Thomas Ospital offrit d'abord les Trois tableaux musicaux sur le « Dies irae » (2009) de Grégoire Rolland (né en 1989), compositeur d'ores et déjà fécond, dans les genres et pour les formations les plus divers. Superbe découverte que ces Tableaux, d'une écriture achevée n'ambitionnant pas de révolutionner l'art de la composition mais bien de faire entendre une voix indéniablement personnelle, inventive et d'un souffle impressionnant chez un compositeur alors âgé de vingt ans. En guise d'interlude pour remonter le temps, Thomas Ospital enchaîna sur le bref et puissant choral de Pentecôte Nun bitten wir den Heiligen Geist, dernière page du cycle Études-Chorals (2010) de Thierry Escaich – son professeur d'improvisation au CSNMDP. Par un effet de miroir judicieusement évalué, il referma son programme avec la Suite op. 5 de Maurice Duruflé, le Prélude – ici presque sombre, d'une gravité et d'une densité exceptionnelles sous les doigts du jeune musicien (né en 1990) – répondant à celui de Fauré, tout comme la Sicilienne, infiniment plus tendue chez Duruflé, reflet d'un monde, celui de l'entre-deux-guerres, ayant déjà basculé, cependant que l'illustre Toccata, cheval de bataille entre tous, renouait avec la tourmente du Final de Vierne, victorieuse chez Duruflé dans une apothéose de virtuosité jamais purement démonstrative. Un récital d'une étonnante et sobre tenue instrumentale, musicalement accompli.

Deux jours plus tard, le jeune organiste américain John Walthausen – Premier Prix du Concours Pierre de Manchicourt 2012 (Béthune) – donnait un récital sur l'orgue de son choix : l'Aubertin de Saint-Louis-en-l'Île, dernier grand orgue en date construit à Paris (2004). Si son répertoire est déjà vaste – on l'entendit au dernier Festival Toulouse les Orgues participer à la Nuit de l'orgue en hommage à Xavier Darasse, dont il joua à Saint-Sernin Organum V (cf. Actualité du 30 octobre 2012) – son récital du 18 mai était concentré sur l'école nordique des précurseurs de Bach et le Cantor lui-même, avec une place, magnifique, pour le contemporain. Le Praeludium en sol mineur de Vincent Lübeck et celui en la mineur de Buxtehude plantèrent le décor, évocation haute en couleur des splendeurs de l'orgue de l'Europe septentrionale au XVIIe siècle. Manifestement inspiré par l'exubérance mais aussi la gravitas de l'orgue Aubertin, John Walthausen témoigna à son tour d'un don singulier pour la coloration, concevant maintes formes, sans cesse renouvelées, de plenum. Un troisième maître de l'ère du stylus fantasticus vint compléter ce tableau, Anthoni van Noordt (1620-1675), beaucoup moins joué, ce qui est fort dommage : que de force et de grandeur, de noblesse et d'invention dans les trois versets à la puissante carrure de l'éblouissant Psaume 24 !

La seconde partie de ce récital fut consacrée à deux œuvres majeures de Bach : l'ample Partita Sei gegrüsset BWV 768 et l'immense Prélude et Fugue en mi mineur BWV 548. Même inventivité dynamique et de timbres de la part de John Walthausen, toujours en quête de mélanges originaux tout en registrant avec goût, sans recherche de l'insolite au détriment du texte. Sans doute la Partita n'eut-elle pas toute l'unité voulue (laquelle, sur un orgue mécanique naturellement dépourvu de combinateur, requiert peut-être plus de « praticité » dans les registrations afin d'éviter les ruptures entre les variations), mais la poésie et le souffle étaient bel et bien au rendez-vous. Suivirent deux (I et IV) des cinq Inventions (1998-2001) de Benoît Mernier (né en 1964), remarquable compositeur et organiste belge : un univers musical extraordinairement sophistiqué, nourri de musique ancienne mais d'une singulière modernité, musique aussi puissamment pensée que profondément séduisante, exigeante pour l'interprète, « la Quatrième Invention, sorte de double proliférant de la Première, utilisant pour la lisibilité de la partition jusqu'à cinq portées par système »… (Pascale Rouet). À la poésie et au souffle répondaient une aisance et une spontanéité montrant combien ces musiciens jeunes mais incroyablement accomplis abordent la musique d'aujourd'hui avec le même naturel que le répertoire ancien, telle une évidence – marquant à cet égard une rupture avec nombre de musiciens des générations précédentes.

Le récital se referma donc sur le plus grand diptyque de Bach, immense « symphonie en deux mouvements » selon Spitta, d'une cohérence dans son parti pris de restitution véhémente qui ne pouvait qu'en imposer, en dépit des réserves que l'on pouvait formuler. Il faut reconnaître que l'inépuisable « urgence » du Prélude, presque déstabilisatrice mais d'une continuité incontestablement maîtrisée, avait de quoi impressionner. Tiendra, tiendra pas ? L'effort et la concentration déployés étaient tout aussi impressionnants – et John Walthausen a tenu. L'inconvénient d'un Prélude joué ainsi est que la Fugue, au lieu d'introduire une tension un cran au-dessus, semble de prime abord régresser en termes de dynamique et de tension harmonique. Jusqu'aux premiers « divertissements » vibrants de virtuosité de cette œuvre paroxystique et géniale. Il y faut des moyens instrumentaux considérables et une endurance (également musicale) en proportion. Certes le tempo ne permettait pas de goûter les mille et une merveilles du texte, mais la splendeur sonore et le défi si pleinement surmonté firent naître, au concert, un véritable sentiment d'aventure musicale. Respekt, comme on dirait dans la langue de Bach.

Faut-il l'avouer ? La fréquentation de ces concerts (celui de Saint-Sulpice mis à part, sans doute du fait d'un public élargi par le biais de l'Association Française des Amis d’Albert Schweitzer, dont Jean-Paul Sorg est le président honoraire) fut malheureusement on ne peut plus confidentielle. Il est d'autant plus remarquable que ces jeunes musiciens aient donné le maximum, portés par la musique et galvanisés comme s'ils jouaient pour des églises combles, sans proportionner leur engagement au nombre de leurs auditeurs, d'ailleurs enthousiastes et admiratifs devant tant de talent chez des musiciens d'à peine plus de vingt ans. Il semble que le public d'orgue – vivier potentiellement considérable, le Marathon des Orgues l'a de nouveau montré, mais habitué à entendre le roi des instruments à volonté et gratuitement – ne soit plus disposé à débourser à peine plus que le prix d'une place de cinéma pour entendre de la musique vivante. Le Festival Le Paris des Orgues est pourtant l'occasion rêvée de découvrir dans des conditions optimales ceux qui, dès maintenant, font que l'orgue continuera de vivre.

Michel Roubinet

Paris, 16 mai (Madeleine) et 18 mai (Saint-Louis-en-l'Île) 2013

Sites Internet :

Le Paris des Orgues
http://s432223733.siteweb-initial.fr

Thomas Ospital
http://www.thomasospital.fr

John Walthausen
http://www.leparisdesorgues.fr/organistes/walthausen-john/

Amis de l'orgue de Ciboure
http://www.orguedeciboure.fr

Grégoire Rolland
http://www.gregoire-rolland.com/#sthash.tFeJ0Lho.dpuf

Manufacture d'orgue Thomas
http://www.orgues-thomas.com/website/

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Photo : DR
 

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