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Festival de Saintes - Eloge de la diversité

Une journée avant la clôture de l’édition 2013 du Festival de Saintes, Stefan Maciejewski, le directeur artistique, et son équipe ont le sourire : le record de fréquentation de la faste année 2009 (13000 billets vendus) est déjà largement dépassé. En des temps économiquement difficiles, ces considérations, même si elles peuvent sembler prosaïques à certains, sont d’une importance vitale pour un festival. En outre, par-delà l’aspect strictement budgétaire, elles démontrent que le public valide une politique artistique qui, depuis quelques années, a résolument opté pour la diversité. Quelques unes des sacro-saintes – sans mauvais jeu de mots – cantates de Bach, des œuvres de Mozart, de Stockhausen et du jazz peuvent voisiner durant une même journée au Festival de Saintes. Celle au terme de laquelle nous y avons fait halte ne dérogeait pas à ce goût du contraste puisqu’un récital romantique de Bertrand Chamayou succédait à un programme Monteverdi du Concerto Soave de Jean-Marc Aymes.

Autant dire que ce dernier était chez lui sur des terres italiennes qu’il parcourait en compagnie de la soprano Maria Christina Kiehr et des barytons Furio Zanasi et Stefan McLeod. La familiarité de tous ces interprètes avec la musique de Monteverdi n’altère jamais leur émerveillement. C’est le terme convient pour dire l’expressivité et le naturel absolu avec lesquels Furio Zanasi (testo) aborde le Combattimento. Passion brûlante, poésie intense, amour des mots : tout y est, porté il vrai par une partie instrumentale dont le relief n’a d’égal que la finesse de la réalisation. Belles interventions de M.C. Kiehr et S. McLeod La pureté de timbre et la clarté de l’émission de la soprano fait merveille ensuite dans le non moins fameux Lamento d’Arianna où une émotion vibrante mais contenue traduit une bouleversante déréliction.

Pour dissiper la tristesse, rien de tel que quelques scherzi musicali (« Lidia spina del mio core », « Fugge il verno dei dolori », « Damigella tutta bella », « De la bellezza le dovute lodi ») : Jean-Marc Aymes et ses partenaires les emportent avec une lumineuse jubilation !

Changement complet de climat un peu plus tard sur la scène de l’Abbaye aux Dames avec Bertrand Chamayou. Le Steinway moderne n’est pas l’instrument auquel le public de Saintes est le plus habitué, mais il ne s’y est pas trompé et a réservé un chaleureux accueil à ce récital. On n’a guère entendu jusqu’ici le pianiste dans Schubert. Puisse-t-il en inscrire plus souvent à ses programmes, se dit-on en savourant la manière dont il sonde les atmosphères contrastées des Douze Ländler D 790. Il prend le parti de gommer un peu de la fraîcheur du cycle. L’œuvre paraît comme « aimantée » par la suite du programme : résultat aussi singulier que captivant ! On ne résiste pas plus aux couleurs et à la fluidité de Auf dem Wasser zu singen (transc. Liszt), ni au parfum étrange de l’Allegretto en ut mineur D 915, mais c’est toutefois la vaste Wanderer Fantaisie qui donne toute la mesure d’un art parmi les plus accomplis du piano d’aujourd’hui. Exit le tape-à-l’œil, la virtuosité clinquante dont pâtit souvent cette composition. Chamayou signe une interprétation souterraine, aux couleurs sombres, hantée par de mystérieuses forces.

Une majestueuse et magique Marche de Parsifal vers le Saint-Graal de Wagner/Liszt ouvre la seconde partie et conduit le pianiste à trois extraits du corpus qui a le plus contribué à le révéler à un large public : Les Années de Pèlerinage. Des Jeux d’eau à la Villa d’Este aux couleurs infinies, un Sonnet de Pétrarque n°123 d’une amoureuse plénitude, et le voilà lancé dans Après une lecture de Dante où, comme dans la Wanderer Fantaisie, il s’impose avec autant d’ardeur que de sidérante maîtrise intellectuelle. « La grandiose musique est l’écriture de l’homme complet », écrivait Valéry. Il n’est pas donné à tous les interprètes de rentre compte de la justesse de son propos ; celui-ci en fait partie.

Alain Cochard

Saintes, Abbaye aux Dames, 19 juillet 2013

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Photo : DR
 

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