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Festival de Sablé 2019 – Vêpres inédites, « Grande Veillée » et ... massages sonores ! – Compte-rendu

Les festivals les plus resserrés ne sont pas les moins denses. Sablé le démontre, si l’on en juge par le nombre de concerts proposés au public en quelques jours, ceux du IN bien sûr, et désormais ceux du OFF (nouveauté 2019), sans oublier la très active Académie baroque à laquelle le Festival doit - au moins en partie - sa notoriété depuis plus de 40 ans.
 
Nos vingt-quatre heures à Sablé débutaient en réalité à Brûlon, charmante petite commune voisine qui abrite entre autres, l’église romane Saint-Pierre et Saint-Paul, où se déroulaient, en création française, les Vêpres de Chiara Margarita Cozzolani par l’ensemble du ténor Emiliano Gonzalez Toro, I Gemelli (l'engisrement est sorti chez Naïve en début d'année). Si le lieu ne fait pas tout, il contribue grandement à la réussite d’un concert, au moins à sa singularité. L’alliance de bois, de marbre, de pierres médiévales et de fresques colorées sur les bas-côtés installent une ambiance chaleureuse, presque intime. Mais surtout l’acoustique y est tout simplement parfaite pour goûter des Vêpres de grand art du Seicento italien.
 

Emiliano Gonzalez Toro © Michel Novak

Bénédictine, chanteuse, compositrice, Chiara Margarita Cozzolani passe sa vie à Milan, au couvent de Santa Radagonda et a écrit, entre autres recueils, des Vêpres qui méritent d’être redécouvertes, au même titre que les œuvres de Strozzi, Cavalli et autres contemporains. Emiliano Gonzalez Toro a voulu avec Violaine Cochard des Vêpres mariales, en insérant aux côtés des psaumes, des motets à la Vierge, tous plus somptueux les uns que les autres. Huit chanteurs, dont Toro qui également dirige, entourent Violaine Cochard à l’orgue, le théorbe, la harpe (magnifique continuo), les sacqueboutes à sa droite, les violons et violoncelle à sa gauche. Parce que ça chante bien, joue bien, sonne bien, cet effectif suffit à remplir tout l’espace et à satisfaire toutes les oreilles. Alternance de chœurs, solos, duos ou petit ensemble, ruptures rythmiques, échos (Laudate pueri) ou délicieuses dissonances (Salve Regina), toutes ces audaces dessinent une musique riche et moderne pour le XVIIe siècle. Mentions spéciales aux magnifiques « Duo Seraphim » d’une bénédictine contemporaine Caterina Cassandra pour 3 voix d’hommes, « Concinant linguae » pour contralto solo (timbre splendide d’Anthea Pichanick), « O maria, tu dulcis » que Toro a livré en solo avec beaucoup d’émotion.
Les Kapsber'Girls © leskapsbergirls.com

Pendant ce temps, le OFF bat son plein sur la place de Sablé avec les Kapsber’Girls qui alternent airs de cour légers (chansons d’amour, chansons à boire…) et présentations de leurs instruments (viole et luth). Pas facile de défendre en plein air devant un public de tous âges - et à l’heure de l’apéro - des œuvres de Le Clerc ou Jaquet de la Guerre ? Qu’à cela ne tienne, les Girls ont la foi et la vitalité de la pop dans les veines, en plus de leur talent musical. Le public reste, conquis.
 

Thibaut Garcia © thibautgarcia-guitarist.com

Sur les innombrables concertos composés par Antonio Vivaldi, il existe bel et bien des pièces spécifiquement écrites pour les cordes pincées ; Thomas Dunford (photo), jeune et très talentueux luthiste, ne pouvait laisser passer cet aubaine : montrer, une fois de plus, les extraordinaires ressources de ces instruments, certes indispensables mais trop rarement mis au premier plan.
Ainsi, à la tête de son jeune et excellent ensemble Jupiter (ici en quintette à cordes), Thomas Dunford offre deux concertos pour luth (RV 82 et RV 93) avec le nerf, le swing, la virtuosité mais aussi la douce mélancolie qui convient dans les largos médians.
Pour aller jusqu’au bout de l’idée de cette Grande Veillée, Dunford a convié deux solistes de renom : Anna Schivazappa à la mandoline, Thibaut Garcia à la guitare.
Originaire de Padoue, docteure en musicologie, la mandoliniste a pleinement convaincu en deuxième partie, visiblement plus à l’aise. Grand moment d’expressivité et d’intimité dans le dialogue avec le luth du largo … Difficile de ne pas succomber.
Un doute pour le Concerto d’Aranjuez en septuor et sur boyaux ? Que l’on se détrompe. Avec une telle intensité des interprètes, cela fonctionne très bien. Non seulement il est finalement assez rare d’entendre cette œuvre dans son intégralité, mais quand en plus elle est aussi bien défendue, on en oublie l’absence de l’effectif originel. Thibaut Garcia y est impérial, ses partenaires à la hauteur. Quelle introduction à l’alto de Jérôme van Waerbeke dans le célèbre Adagio de Rodrigo, dont l’une des légendes raconte qu’il serait inspiré des bombardements de Guernica en 1937 ! On pouvait y penser, ce soir-là.
Après l’ovation, le bis, façon bœuf : une composition pop-rock pour cordes, luth et voix, signée Dunford et ses amis, née de leur longue soirée amicale et musicale « We are the ocean, each one a drop ». Sympathique, décloisonnant et de bonne qualité !
 

François Joubert Caillet, l'un des professeurs de l'Académie baroque de Sablé © Jean-Baptiste Millot
 
Ça vous gratouille ou ça vous chatouille ? Dans une salle plongée dans la pénombre, c’est l’heure des massages sonores. On envoie du son derrière vous, autour de vous, au-dessus de vous, dans le creux de l’oreille. Des sons analogiques, acoustiques (parfois très artisanaux et quotidiens avec ustensiles de cuisine, brosses à dent, hochets homemade en tout genre) sortent de haut-parleurs mais avant tout d’une partition écrite et précise d’une dizaine de minutes (signée Jean-Philippe Gross), interprétée en direct par deux musiciens, placés derrière les auditeurs. Phonoscopie exploite les superpositions des plans sonores. L’auditeur perçoit alors ce qu’il peut et ce qu’il veut, tour à tour concentré, dérangé, amusé, détendu. Personne n’entend la même chose, le vent, les oiseaux, un jeu de ping-pong au loin, des feuilles froissées. Peu importe, c’est un temps précieux pour l’ouïe.
 
Reste l’Académie de Sablé qui a depuis toujours contribué au rayonnement du Festival. Il faut saluer cette année encore l’excellente équipe pédagogique dont ont pu profiter une vingtaine d’étudiants ou jeunes professionnels venus du monde entier : Chantal Santon Jeffery, Jean-Paul Fouchécourt, Florence Malgoire, François Joubert-Caillet et Mahan Esfahani … Une semaine de formation avec de telles personnalités suscite beaucoup d’enthousiasme et donne de l’abattage, si l’on en juge par le programme du concert de clôture de l’Académie à l’église de Sablé.
 
Gaëlle Le Dantec

Festival de Sablé, 23 août 2019

Les Vêpres de Cozzolani et la "Grande Veillée" sont à retrouver en replay sur france.tv culturebox

Photo © thomasdunford.com

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