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Festival de La Chaise-Dieu - Jeunesse et émotion  - Compte rendu

Oeuvres rares, révélations ou confirmations de jeunes talents et ouverture de la musique religieuse vers d'autres horizons... Pour sa dernière édition à la tête du Festival de la Chaise-Dieu, Jean-Michel Mathé sera resté fidèle à l'esprit qu'il a su insuffler depuis presque dix ans. Il n'a pas manqué d'inviter pour cette sorte de jubilé les jeunes pousses qu'il a largement contribué à faire connaître, à commencer par le formidable Vaclav Luks à la tête de son Collegium Vocale 1704.

Poursuivant son exploration de l'oeuvre de Zelenka qu'il avait entamée à la Chaise-Dieu en 2007, le jeune chef tchèque dirige trois Répons pour la semaine sainte du compositeur bohémien. Avec une précision d'orfèvre, Luks sculpte littéralement les voix d'un choeur exceptionnel, presque entièrement composé de solistes travaillant dans une symbiose parfaite, composant une variation de couleurs infinies. Cette musique, écrite dans la Dresde du début du XVIIIème siècle alors largement sous influence italienne, reste en parfait équilibre entre la tradition du chant grégorien et celle du contrepoint de Palestrina. Un mélange des styles entre l'austérité allemande et l'expressionnisme italien qu'on retrouve de façon encore plus marquée dans le Miserere de ce disciple de Lotti, notamment à dans une première partie atypique composée sur un motif obstiné aux cordes particulièrement théâtral.

La soirée est aussi l’occasion pour le Collegium de se frotter en miroir à la virtuosité de deux concerti, l’un de Haendel (Opus 3 n°5) l’autre de Vivaldi (le n°11 de L’Estro armonico), avec un violon solo éblouissant, montrant une nouvelle facette d'une jeune formation baroque impressionnante. Même si l'ensemble reste un rien corseté sans doute pour ne pas trop se départir de la tonalité religieuse de la soirée, la précision des attaques, la rondeur des sonorités et l'allégresse du continuo laissent absolument pantois.

Autre grand moment autour d'une œuvre rare avec Elias de Mendelssohn, ouvrage lorgnant davantage vers la rigueur formelle d'un Bach que le théâtre d'un Haendel. Raphaël Pichon (photo) a porté ce projet pendant de longs mois avant de parvenir à le faire aboutir avec un choeur amateur de haute tenue qu'il a patiemment conduit, le Choeur Otrente. Le second oratorio du compositeur allemand mérite largement la redécouverte, surtout quand il est porté par des solistes d'une telle qualité. Après l'avoir chanté pour la première fois en juin dernier à la Basilique Saint-Clotilde, Stéphane Degout (photo) faisait cadeau de cette quasi-prise de rôle au festival de la Chaise-Dieu. Concentré, d'une voix extraordinairement timbrée ne forçant jamais son autorité mais dominant constamment le propos, il confère une vulnérabilité bouleversante au personnage d’Elie notamment dans le grand air de la deuxième partie « Es ist Genug », répondant à un thème splendide énoncé au violoncelle.

Ce n'est pas la moindre élégance de cet immense chanteur que de venir défendre généreusement une partition méconnue et transmettre son expérience et son plaisir communicatif à un choeur amateur. À ses côtés, un jeune ténor à suivre, Stanislas de Barbeyrac, voix souple et chant magnifiquement articulé, et une mezzo bouleversante à la voix incroyablement chaude (qui sera bientôt Carmen à l'Opéra de Washington), Clémentine Margaine. Un artiste d'exception, de jeunes ensembles, de belles découvertes et un défrichage du répertoire : fidèle à lui-même, Jean-Michel Mathé aura réussi sa sortie.

Luc Hernandez

Festival de la Chaise-Dieu, du 28 au 30 août 2012

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Photo : DR
 

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